lundi 27 juillet 2015

UN BALLO IN MASCHERA de Verdi, mes. Jean-Claude Auvray - Chorégies d'Orange/06.08.2013/France2 -


   Patchwork construit, paraît-il, à partir de la générale et des représentations du 3 et du 6 août, il est fort difficile de parler de la mise en scène de Jean-Claude Auvray dans cette retransmission/France2/06.08.2013 de Un Ballo in Maschera de Giuseppe Verdi aux Chorégies d’Orange/2013. Le sentiment d’une qualité inégale de mise en scène vient-il de ce découpage télévisuel ? L’acte II semble particulièrement inabouti scéniquement : Amelia et Riccardo tournent en rond, perdus sur l’immense plateau des Chorégies, volontairement et vertigineusement dénudé. En revanche, toute la fin de l’acte I, dans l’antre d’Ulrica et l’acte III, à partir de l’air solo de Riccardo jusqu’à sa mort, fonctionnent parfaitement.
Les mises en scène épurées de Jean-Claude Auvray utilisent le vide comme mise en relief de l’action dramatique et recherchent méticuleusement l’osmose musique et scénographie par un laisser-vivre du chant sur le plateau. Mais, si c’est remarquablement réussi dans cette Forza del Destino aux clairs-obscurs lancinants à Paris/Bastille en 2011, cette quête de dépouillement tombe dans l’excès, alliée au gigantisme de la scène des Chorégies, constat pour Un Ballo in Maschera/2013 et Cavalleria Rusticana/2009.
Malgré cela, d’attachants souvenirs visuels demeurent après ce « ballo » : le cheval à bascule du gamin d’Amelia et de Renato, l’énorme globe blanc imprimé de caractères ésotériques et zodiacaux et les merveilleuses projections virtuelles de cartes du ciel chez Ulrica, la maquette de l’Opéra Royal de Suède et son somptueux rideau de scène bleu, peint à même le sol qui, couplé aux très raffinés costumes jaune pâle des invités au bal, nous rappelle le drapeau suédois…
   Les liens du cœur, eux, vont à la musique de Verdi, « musique qui n’hésite pas à sacrifier l’unité du style à la diversité psychologique des personnages. Riccardo, Renato, Amelia, Oscar, Ulrica ont leur langage mélodique et rythmique propre dont l’alternance ou la superposition aboutit à des climats variables d’une scène à l’autre » (dans Giuseppe VERDI, Ed. Julliard, 1978, Jacques Bourgeois). Là réside le secret de l’émouvante beauté du Ballo in Maschera. Alain Altinoglu et l’Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine l’ont bien compris et cisèlent avec talent cette écriture en entrelacs.
Lumineux Riccardo/Ramon Vargas ! De 2009/Paris-Bastille à 2013/Orange, dans ce même rôle, la voix de ce ténor enchanteur a toujours la tendresse du bon pain et l’élégie dans l’âme. Tout est bon dans sa technique, il n’y rien à jeter -la liste des louanges serait bien trop longue à établir.
« Splendidissimo » Oscar/Anne-Catherine Gillet ! En 2010, j’écrivais à son propos : « Lola aguicheuse, adorable Vincenette ou touchante Sophie, Anne-Catherine Gillet, à la ligne de chant sûre et stylée, au jeu efficace, quand serez-vous Oscar ? Oscar, vous le « travaillez » probablement pour vous. C’est ce rôle que j’entends dans votre voix, chaque fois que je vous écoute. » Du rêve sonore à l’inoubliable incarnation…L’Ulrica de Sylvie Brunet-Grupposo a la densité et la préciosité de l’orchidée. La robe si prune de son timbre est idéale pour notre devineresse, new-look chez Jean-Claude Auvray. Le riche velours du lyrico-spinto de Kristin Lewis séduit et convainc par son amplitude magnifiquement maîtrisée. Lui font défaut la souffrance morale , le déchirement intérieur d’Amelia. Seul point noir de la distribution, le Renato de Lucio Gallo. Maladie ? Vieillissement vocal ? Que lui est-il arrivé en l’espace de deux ans ? Son Iago (Otello à Paris/Bastille en 2011), son Michele et son Gianni Schicchi (Il Trittico au Royal Opera House en 2011) étaient formidables. Stupéfaite par cet état vocal défaillant. Du mal à l’écouter. Des comprimari fort bien chantants : Paul Kong, Nicolas Courjal et Jean Teitgen.
   C’est tant de bonheur de pouvoir venir s’abreuver à la source verdienne, encore et toujours…

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A l'acte IV du DON CARLO de Verdi - Munich/01.2012/streaming et Vienne/16.06.2012/France-Musique -

                                                 
   La perfection est parfois de ce monde et lorsque nous la rencontrons le ciel semble s’ouvrir pour laisser passer une pluie d’étoiles. Alors notre cœur s’illumine et nous nous sentons temporairement apaisés.
C’est ainsi que j’ai vécu les adieux de Don Carlo/Jonas Kaufmann et d’Elisabeth de Valois/Anja Harteros, à l’Acte IV du Don Carlo de Verdi, à Munich (en streaming sur le site du Bayerische Staatsoper/01.2012).
Un nirvana de beauté est atteint lors de ces quelques minutes finales. Le duo A.Harteros/J.Kaufmann y déploie un océan de nuances et de couleurs, des lignes de chant enchevêtrées à l’infini, générant une félicité intérieure rarement atteinte. Le temps s’est alors arrêté, provisoirement

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   Ces mêmes adieux de Don Carlo et d’Elisabeth de Valois, mais cette fois-ci à Vienne (au Wiener Staastoper, sur France-Musique, le 16.06.2012), avec Ramon Vargas/Don Carlo et Krassimira Stoyanova/Elisabeth de Valois.
Balayé le nirvana du duo Anja Harteros et Jonas Kaufmann, dans cette même scène à Munich, cette année !
Ici, point de traversée des cieux mais celle de souffrances intérieures, de passions profondément ancrées dans la chair de nos héros, générant l’empathie chez l’auditeur. Le nirvana, ici, est terrien, énergie incandescente des sentiments humains.
Nouveau rendez-vous avec la Beauté, mais noire à Vienne, opposée à la blanche de Munich.
Miracles de l’Art. Castings vocaux judicieux et hypersensibles, aussi.
Tous, quatre artistes incomparables, flèches porteuses d’affects exacerbés, d’états extatiques antinomiques.

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samedi 25 juillet 2015

IL TROVATORE de Verdi, mes. Alvis Hermanis - Salzbourg/15.08.2014/Arteconcert -


   Dans cette production d’Il Trovatore de Verdi, à Salzburg/15.08.2014/Arteconcert, le texte chanté du livret reste le même mais Alvis Hermanis (mise en scène et décors) situe l’action dans un musée contemporain regorgeant de tableaux de la Renaissance. Leonora, une des gardiennes, rêve son amour avec Il Trovatore/Manrico, héros né d’une œuvre exposée, « Le Joueur de Luth » de Giovanni Busi (Il Cariani). Elle entraîne dans un monde fantasmatique collègues (Inès, Conte di Luna), guides (Ferrando, Azucena) et touristes (Chœur), transformés en personnages sortis tout droit des tableaux. Nous voilà ramenés dans le XVème siècle du récit initial et en Espagne, car Leonora porte la même robe que celle d’Eléonore de Tolède sur son portrait par Bronzino. Certaines toiles circulent sur le plateau pour évoquer les thèmes des différentes scènes. Par cette remontée dans le temps, A. Hermanis sait garder l’âme historique d’Il Trovatore et la relier à nos âmes d’aujourd’hui. Rouges du désir et de la passion, rouge nocturne du secret d’Azucena, rouge du feu des gitans ici devenu danse, rouge violacé des puissants (Conte di Luna), rouge de la guerre et rouge du sang versé en fin. Par tous les rouges de la palette des peintres A. Hermanis symbolise et synthétise les idées fortes du drame. Il célèbre le chant, mêlant au silence éternel de la peinture la musique flamboyante de ce Verdi.
   D’entrée de jeu (ActeI/ScèneI) Riccardo Zanellato/Ferrando force notre respect. Chant et musicalité irréprochables dans un timbre imposant, aux bruns et noirs caressants. A quand Philippe II (Don Carlo) ?
L’Azucena de Marie-Nicole Lemieux est d’abord déroutante. ActeII/ScèneI, son « Stride la vampa » dérange par son côté comique et une ligne vocale parfois malmenée (peut-être le trac ?). Mais cette artiste hors-normes reprend le dessus, dès la scène suivante (ActeII/ScèneII) « Condotta ell’era in ceppi » et nous offre une interprétation saisissante d’Azucena. Ses récitatifs sont d’une richesse expressive étonnante, probablement grâce à sa pratique du baroque, et la précision des nuances est fabuleuse. ActeIII/ScèneIV, son « Giorni poveri » (confrontation au Conte di Luna) met en valeur le rubis chatoyant de son medium et haut-medium. MN. Lemieux trouvera certainement dans le temps un meilleur équilibre entre jeu d’acteur et legato, entre émotion et vibrato pour son Azucena.
Comment ne pas être impressionnée par un Placido Domingo/Conte di Luna se donnant à 500% malgré d’énormes problèmes de souffle. Quel courage et quelle leçon ! Son charisme et un phrasé supérieur balayent toutes les difficultés perceptibles et nous suspendent à son chant. Seul bémol, P. Domingo est toujours un ténor chantant des rôles de baryton et les ensembles, trios et quatuor, aux I, II et IV, avec deux ténors au lieu d’un ténor et un baryton, sont franchement frustrants pour l’oreille qui attend une harmonie sonore devenue impossible.
Le Manrico de Francesco Meli est un bonheur immense. Le cantabile lui va si bien ! Son premier air (ActeI/ScèneIII), « Deserto sulla terra », chanté en coulisses, retient de suite l’attention, legato souverain, flexibilité vocale… « Mal reggendo all’aspro assalto » (ActeII/ ScèneII) dévoile les beautés d’un timbre corsé, au clair-obscur envoûtant. La projection est solide, le musicien raffiné. On succombe lorsque Manrico parle d’amour à Leonora (ActeIII/ ScèneV), « Ah si, ben mio, coll’essere ». Les notes vibrantes et délicates racontent les racines belcantistes de F. Meli. De ci de là il nous gratifie d’ornements bien pensés, en supplément. « Di quella pira » ou le summum d’une vaillance éclatante avec deux suraigus, non écrits par Verdi, mais tolérés « à condition qu’ils soient très beaux ». Ils sont bien chantés et les passages sont bons. Mais voilà, le suraigu final, bien tenu, n’est pas lié à la dernière note de l’air, à l’octave en-dessous. Juste une mise au point à faire. Un tel ténor est déjà une étoile.
La voix d’Anna Netrebko/Leonora porte en elle la ferveur des terres verdiennes. Le timbre est brûlant, charnel, resplendissant de mille couleurs. L’aigu est lumière dense, soutenue, le grave présence remarquable. La maîtrise vocale est renversante. Mélancolie du désir (ActeI/ ScèneII),
« Tacea la notte placida ». Désespoir déchirant l’éther (ActeIV/ScèneI), « D’amor sull’ali rosee ». Fulgurances de l’âme au bord du suicide (ActeIV/Scène II), duo final avec le Conte di Luna. A. Netrebko est une Leonora inoubliable.
   Daniele Gatti et les Wiener Philarmoniker font dans la dentelle. Recherche constante d’un accompagnement juste du plateau, subtilité des nuances, tempi sages et une sensibilité privilégiant un romantisme humain à la grandiloquence parfois de mise dans cette partition.
   Une production d’Il Trovatore où l’univers des rêves rouges d’A. Hermanis rejoint l’imaginaire musical de D. Gatti.

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jeudi 23 juillet 2015

LA TRAVIATA de Verdi, mes. Benoît Jacquot - Paris/Bastille/07.06.2014 et 14.09.2014 -

 LA TRAVIATA / mes. Benoît Jacquot

De Giuseppe Verdi, livret de Francesco-Maria Piave,
Opéra-Bastille, représentation du 07.06.2014 et Culturebox.

   Prélude saisissant du premier acte de La Traviata à l’Opéra-Bastille le dimanche 7 juin 2014. Dès leur premier chant legatissimo, les cordes de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, prophètes du malheur de Violetta, nous plantent une peine sourde, une intranquillité lancinante dans le cœur. Daniel Oren, d’emblée et pour tout le reste de l’interprétation, écarte pathos et affèterie, impose une clarté incisive dans le discours musical, relevant la gravité du drame.
Acte II/ScèneII, Diana Damrau entame « Dite alla giovine… » et je frissonne de pied en cap. Merveilleurse artiste. Emotion et perfection technique s‘unissent. La musique de Damrau est habitée des sanglots désespérés d’une Violetta lucide sur sa mort prochaine. Tel un écho à son âme, le « Si piangi, o misera… » de Giorgio Germont/Ludovic Tézier et toute la fin du duo Damrau/Tézier resteront pour moi l’acmé de cette représentation.
A l’instar de Diana Damrau, Ludovic Tézier est un chanteur exceptionnel. De pouvoir paternel en rigidité intérieure, de conservatisme religieux en bienséante compassion, Ludovic Tézier appuie les mœurs monstrueuses du vieux père Germont sur sa canne de marche. Quelle maturité acquise depuis Aix/2011 dans ce même rôle !
Francesco Demuro est un fort bel Alfredo. Rinuccio enchanteur (Gianni Schicchi/ROH/2011), Ernesto très talentueux (Don Pasquale/TCE/2012), cette voix jeune, homogène, à la projection sûre, toujours bien couverte, jamais artificiellement grossie, va de toute évidence s’élargir dans les années à venir. S’il paraît un peu appliqué au I, il convainc crescendo et se donne totalement à la fin du II, au moment de la fête chez Flora, lorsqu’il paye Violetta pour ses « services rendus ». Artiste à suivre !
Seconds plans et Chœur superlatifs, comme toujours pendant l’ère Nicolas Joël.
   Si le Werther, mis en scène par Benoît Jacquot, (vu à Bastille en 2010) est d’essence cinématographique de par le tempo de l’action, sa Traviata est purement photographique. Benoît Jacquot y a troqué sa caméra de cinéaste pour une chambre de photos de studio, de celles d’un Félix Nadar (qui a d’ailleurs photographié Jeanne Duval) ou encore de celles d’ Henry Peach Robinson (qui fait la couverture du programme de l’Opéra de Paris). Comme autant de témoignages d’une époque révolue, ses images fixes chantent le feu et le spleen verdiens de Traviata.
Les décors (Sylvain Chauvelot) sont démesurés parce que rien n’est ordinaire dans la vie de Violetta ! Demi-mondaine et non femme banale, son lit monumental au I peut contenir l’impressionnante foule d’hommes en noir qui hante son quotidien (le Chœur). Au II, un splendide arbre géant abrite le gigantesque amour de Violetta et Alfredo, défi hors-norme à la morale sociale. Les fines lumières d’André Diot jouent dans le feuillage et sur la robe crème de Violetta, recréant les ondes lumineuses des scènes champêtres chez Edouard Manet et parfois Pierre-Auguste Renoir. Hommage à la peinture à couper le souffle ! Comme une sentinelle accolée à l’arbre rédempteur, un énorme et riche escalier citadin se dresse, mémoire et destin de la vie dissolue de Violetta. Continuo obsédant et visionnaire, le fond de scène noir opaque annonce le deuil à chaque instant.
   Cette Traviata est forte parce que Benoît Jacquot sait tellement bien nous dire combien il aime le romantisme ! Si la forme en est complètement différente de celle de son Werther, il nous fait faire le même voyage, il nous accompagne dans une tragédie d’amour et de mort par des chemins de beauté, beautés d’images mélancoliques et de chants fervents.

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Une TRAVIATA ne chasse pas l’autre…

   Les deux Traviata (Verdi) à l’Opéra-Bastille dans la mise en scène de Benoît Jacquot m’ont vivement émue. Je veux parler de Diana Damrau, vue et entendue le 07/06/2014 et d’Ermonela Jaho, le 14/09/2014. Elles ont en commun une maîtrise phénoménale de l’instrument et la passion du rôle qui rend plus électrique leur présence en scène. Mais elles sont dissemblables par leurs typologies vocales respectives et le théâtre que chacune donne à voir.
La Violetta d’Ermonela Jaho a la fragilité et la vivacité de la jeunesse. Voix, corps, mains, tout en elle chante, raconte éperdument le drame, fait jaillir l’émotion. La tragédienne, timbre de velours et cristal, vibre dans un chant ample, aux graves tendres, aux aigus radieux, aux longs pianissimi bouleversants.
Le théâtre de Diana Damrau est lui essentiellement chanté. La voix melliflue cisèle la partition. Le flot de couleurs données aux mots, aux phrases et l’extraordinaire variété des inflexions peignent amoureusement les sentiments de sa Violetta. Cette Violetta est une forte personnalité, plus volontaire qu’instinctive, plus révoltée que résignée par son sort, et donc tellement inhabituelle. Cette non-conformité à la majorité des Traviata et la lumineuse virtuosité de la Damrau touchent profondément.
Evidemment il n’y a pas de Violetta sans Alfredo Germont. Celui de D.Damrau, le talentueux Francesco Demuro, chante et joue impeccablement, mais la voix n’a pas encore atteint le calibre suffisant pour une salle aussi grande que l’Opéra-Bastille. En revanche, Francesco Meli (le 14/09/2014 avec E.Jaho) est l‘Alfredo adéquat. Et c’est avec délectation que l’on plonge dans les charmes de son chant élégant, généreux et sensible, qui tient largement les promesses de son Manrico à Salzbourg cet été.
Venons-en au déclencheur du drame, l’indispensable Giorgio Germont. Certes, Dmitri Hvorostovsky (le 14/09/2014 avec E.Jaho) est un père Germont à la voix somptueuse et aux indéniables qualités musicales, mais le personnage n’est pas assez caractérisé, à mon goût. (Méforme passagère, peut-être…). Au contraire, Ludovic Tézier (le 07/06/2014 avec D.Damrau) a voulu son Giorgio Germont détestable, appuyant constamment son monde intérieur, rigide et conservateur, sur une canne de marche qui fait corps avec lui. L’interprétation est fine, le chant fervent et la diction parfaite.
On ne peut pas oublier non plus les décors fixes et démesurés de Sylvain Chauvelot, qui ressemblent à ces vieilles photographies de studio, faites traditionnellement sur fond noir, que l’on regarde parfois en évoquant la terrible destinée d’un membre lointain de la famille…

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mercredi 22 juillet 2015

ERNANI de Verdi, mes. Jean-Louis Grinda - Monte-Carlo/04.2014 et 11.2014/France3 -

                                   
   L’Ernani de Verdi, à l’Opéra de Monte-Carlo (04.2014 et France3/11.2014), est bâti de Yin et de Yang. Yin est la mise en scène de Jean-Louis Grinda, univers de tableaux aux beautés intenses, plutôt statique, complément et réceptacle du Yang de cette partition verdienne, forte d’une énergie éclatante et obstinée.
   Jean-Louis Grinda respecte la période Renaissance du livret. Il en utilise le « chiaroscuro » de sa peinture à travers les lumières envoûtantes du talentueux Laurent Castaingt. D’époque eux aussi, les fastueux costumes de Teresa Acone dynamisent et enchantent la mise en scène par leur grande variété et leurs changements à chaque acte. Et le très astucieux jeu de miroirs, en fond de scène, accentue certains passages, crée un discours visuel supplémentaire et donne du panache à l’ensemble, en reflétant les personnages et les décors sobres mais recherchés d’Isabelle Partiot-Pieri (belles images filmées de Stephan Aubé). Au I, la fine stylisation d’un des panneaux de « La Bataille de San Romano » du peintre Paolo Uccello (vers 1456) souligne, d’entrée de jeu, le ton guerrier de l’œuvre. Ses ocres, terres de Sienne et rouges sombres nourrissent l’ardeur des notes de Verdi. Et ce sont aussi des fragments de cette bataille, comme des réminiscences rouge sang, qui ourlent le haut des murs du château de Don Ruy Gomez de Silva, au II. L’âme sertie d’acier de ce Grand d’Espagne brille dans le froid étincelant de ces heaumes et cuirasses exposés, chez lui, sur des colonnes en enfilade. In fine, pour le noces d’Elvira et d’Ernani, au IV, immense tente couleur ciel, aux drapés soyeux, parsemés de lys et d’étoiles d’or. Vision de rêve pour issue tragique.
   Pour ce qui est des voix, nous sommes au paradis. Le chant de Ramon Vargas/Ernani est la grâce même, sincère, naturel, fruit d’une patiente recherche d’équilibre entre virtuosité et vaillance. Si la ligne vocale est déliée, le son reste toujours plein, incarné, prêt à bondir sur les cimes de la tessiture, sans perdre la liquidité du phrasé, sur un souffle rigoureusement maîtrisé. R.Vargas donne jeunesse et impulsivité à son Ernani, par la tendresse lumineuse inhérente à son timbre et un héroïsme vocal débridé. Magnifique Elvira de Svetla Vassileva, pourtant souffrante. Voilà une musicienne chevronnée, vocalises et ornements soignés, nuances délicates, grande expressivité. Dès lors, les quelques aigus criés et certains passages un peu plus laborieux passent à  la trappe. Tout au long de la tragédie, S.Vassileva façonne une Elvira profondément tourmentée, aimante et forte. Verdi a fait la part belle au personnage de Don Carlo, présent aux trois premiers actes et auquel l’ActeIII est dédié. Ludovic Tézier/Don Carlo déploie ici toutes les facettes d’un art vocal consommé. Son legato, infini, confère l’onctuosité nécessaire à sa déclaration d’amour à Elvira (ActeI/« Da quel di che t’ho veduta… »), va tissant les pensées de sa méditation
(ActeIII/« Scettri, dovizie, onori…Oh de verdi anni miei… »), et porte gravement, adagio, l’annonce de sa clémence de nouvel empereur (ActeIII/« Oh sommo Carlo… »). Quelle leçon de chant phénoménale que le « Vieni meco sol di rose… » au II, interprété exclusivement piano et pianissimo, avec tous les allègements de la terre, air où Don Carlo invite Elvira à partager sa vie ! Chaleur du bronze et matité de l’étain, la voix ample et enveloppante d’Alexander Vinogradov/Don Ruy Gomez de Silva ensorcèle. La pureté de ce chant abyssal, très ferme mais toujours ductile, force le respect. Et, dans les ensembles avec Chœur, les quelques fugitifs et sublimes entrelacs de pulpes vocales sombres et généreuses (L. Tézier et A. Vinogradov) sont autant d’instants de béatitude. Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, divinement préparé par Stefano Visconti, a mille nuances à l’archet, dans une œuvre où il pourrait se contenter d’épater la galerie par le seul volume sonore. Les comprimari, tous excellents, se mêlent parfaitement aux protagonistes, la Giovanna de Karine Ohanyan, comme le Don Riccardo de Maurizio Pace et le Jago de Gabriele Ribis.
   Une bonne direction musicale d’Ernani ne passe-t-elle pas obligatoirement par une gestion supérieure des forces rythmiques sur l’ensemble de l’œuvre ? Car, malgré l’importance de la mélodie, c’est le rythme qui est prépondérant ici. Et j’oserai dire que ça balance bien chez Daniele Callegari. De plus, il crée un monde extrêmement riche en couleurs, formes et intensités et ses tempi restent dans une zone de confort pour les voix, d’où un très grand plaisir auditif . Enfin, en estompant le caractère martial de cet opéra il met en lumière les autres émotions dramatiques.
   En conclusion, une production d’Ernani subtile, virtuose et esthétique.

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mardi 21 juillet 2015

LUISA MILLER de Verdi - mes. Jean-Claude Fall/Liège/12.2014 et mes.Gilbert Deflo/Paris-Bastille/2008 et 2011 - STATIQUE MAIS MAGIQUE-


   Qualifier une mise en scène de statique est décidément tout-à-fait insuffisant. Constat après avoir vu trois fois le Luisa Miller de Verdi, deux fois dans la mise en scène de Gilbert Deflo, à Bastille en 2008 et 2011 et, cette fois-ci, dans la mise en scène de Jean-Claude Fall, à Liège en décembre 2014 -sur Culturebox et Medici-TV.
Il y a la mise en scène statique, qui se tire elle-même une balle dans le pied, frôlant dangereusement l’inanimé, et que seuls les chanteurs peuvent aider, voire sauver, je veux parler de celle de G.Deflo. Et puis il y a la mise en scène statique, qui facilite la lecture du drame et sait donner du relief à l’écriture vocale, comme celle de JC.Fall.
Chez G.Deflo, hormis les cieux qui finissent par s’assombrir, tout respire une immuable tranquillité, la petite maison dans les montagnes, les jolis costumes couleurs pastels, la sage foule de paysans, bref, une esthétique d’un naïf charmant mais surchargé et soporifique. Une sérénité qui plombe musique et tragédie. Et, cerise sur le gâteau, une direction de chanteurs-acteurs sans contrastes ni aspérités, qui entrave l’expression des passions verdiennes. Pour sortir de l’ornière cette mise en scène maladroite, il a fallu, en 2008, le Rodolfo vaillant et désespéré de Ramon Vargas, avec son « Oh fede negar potessi…quando le sere al placido… » appassionatissimo, au II, l’impressionnant duo Walter/Ildar Abdrazakov et Wurm/Kwangchul Youn, toujours au II, et un final bouleversant de bout en bout, avec Luisa/Anna-Maria Martinez, Miller/Andrzej Dobber et Rodolfo/Ramon Vargas. En 2011, ce sont la lumineuse Luisa de Krassimira Stoyanova et le Rodolfo arc-en-ciel de Marcelo Alvarez qui tirent toute la représentation vers le haut.
La mise en scène de JC.Fall, elle, m’est apparue tout d’abord comme indigente, manquant d’action et plutôt laide, quoique diablement fonctionnelle, avec son décor binaire, forêt-château, astucieusement articulé par d’énormes vérins. Mais ce dépouillement scénographique, mêlé à la simplicité des costumes -années 1930- rehausse les forces émotionnelles de la partition. Comme si la rareté des images renforçait les richesses sonores. La direction des chanteurs-acteurs va dans ce même sens, recherchant l’expressivité maximum chez chaque interprète. A partir de là se produit cette union sublime des énergies artistiques et créatives de ce Luisa Miller, ce « miracle d’une alchimie », dont parle Christophe Rizoud/Forumopera/29.11.2014.
   Et dans ce mystère d’alliages délicats, deux puissantes et rutilantes locomotives belcantistes mènent le bal, Patrizia Ciofi/Luisa et Grégory Kunde/Rodolfo. P.Ciofi, avec son amour urgent et absolu de la scène, délivre chant et jeu de l’extrême, extrême virtuosité, sentiments extrêmes. Au sommet de sa douleur, Luisa demande à Wurm de lui rendre son père, « Il cor tu m’hai squarciato… » (Tu m’as déchiré le cœur), au II. A ce moment P.Ciofi rentre dans une transe de la désespérance, qu’elle peint en fin de scène par une ornementation personnelle, stupéfiante. Puis elle vivra dans un état de déchirement intérieur irréversible, jusqu’à sa mort par empoisonnement. L’incarnation est poignante par sa justesse. Vaillance du lion et mécanique sophistiquée, G.Kunde est un colosse au chant racé. Dans le bleu si tonique de son regard vibre sa flamme dans l’art. Son Rodolfo ne cherche pas à se rapprocher du jeune homme du livret. Son Rodolfo, c’est tout simplement lui, un homme de soixante ans, ici amoureux fou de Luisa. Interprétation brillante teintée de touchante vraisemblance. Avec bonheur aussi, le jeune Nicola Alaimo est le vieux Miller. Dans la véhémence comme dans la douceur, avec son italianità classieuse et ses couleurs en abondance, son baryton chaleureux sied parfaitement à ce rôle de père aimant et protecteur. Vivement son Guillaume Tell/Rossini à Monte-Carlo en janvier 2015 !
Pour ce qui est des seconds rôles, Luciano Montanaro est un Conte di Walter oscillant entre beau chant et engorgement. Dommage car le timbre est intéressant. Cristina Melis est une Federica a la grande musicalité et le Wurm de Balint Szabo est pervers et détestable , comme il se doit.
   A la baguette, Massimo Zanetti analyse et caractérise chaque climat-et ils sont nombreux ici ! Par une éloquence orchestrale détaillée et toujours colorée, il parvient à unifier une partition hétéroclite, mosaïque de formes belliniennes, donizettiennes et du Verdi dramatique en devenir (Traviata, Otello, Rigoletto…).
   On peut lire, ça et là, que Luisa Miller n’est pas le chef-d’œuvre de Verdi…Thèse démentie par cette production de Liège, avec son plateau vocal en état de grâce, en communion totale avec les forces orchestrales et la mise en scène. Luisa Miller a une place de choix dans la nébuleuse verdienne, celle de l’étoile-trouvetou, de l’étoile laboratoire, originale, inspirée et par là-même passionnante.

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dimanche 5 juillet 2015

STEFANO SECCO, ténor, 07/2015.


    « S’avanza il re » chante Oscar/Kathleen Kim et Gustav III/Stefano Secco entre en scène. C’est au tout début de « Un Ballo in Maschera » de Verdi, version Royaume de Suède (mes. Alex Ollé), en streaming sur le site de La Monnaie en juin 2015.
Disparu de mon écran-radar depuis un Hoffmann radieux, entendu à Bastille en 2012 (Offenbach/mes. Robert Carsen), Stefano Secco y revient dans un rôle qui lui tombe sans un pli dans la voix. En trois ans l’évolution du chanteur-acteur est saisissante. S’il a toujours pris son chant à-bras-le-corps, son tempérament fougueux s’est aujourd’hui enrichi d’une sereine assurance, qui n’omet pas pour autant un excellent contrôle vocal. Son théâtre, souvent intense, a visiblement gagné en cohérence par une meilleure concentration des émotions du jeu et de la musique. La voix s’est élargie, le timbre est plus dense. Maintenant ce soleil a des reflets cuivrés. S.Secco est entré en maturité, par les rôles et par l’âge. Je suis éblouie par la synthèse faite des éléments qualitatifs de sa technique vocale, particulièrement remarquable dans son récit et air :
« Forse la soglia attinse…ma se m’e forza perderti » à l’ActeIII/Scène2 de ce « Ballo » !
Flash-back…
En 2008 dans le « Rigoletto » de Verdi entendu à Bastille (mes. Jérôme Savary), le « buon canto » soigné et pétillant d’un Duca Di Mantova latin en diable attire mon oreille. Le souffle est long, la voix bondit sur un soutien solide et maniable, les aigus insolents se jouent d’un passage maîtrisé.
26 avril 2009, toujours à Bastille et dans le « Macbeth » de Verdi (mes. Dmitri Tcherniakov), le même S.Secco porte la plainte immensurable de Macduff dans un « Ah la paterna mano » inoubliable. Legato sans faille, inflexions stylées et nuances généreuses servent une interprétation ô combien sensible et sincère.
Passons à son Rodolfo de « La Bohème » de Puccini, 18 novembre 2009/Bastille/mes. Jonathan Miller. Le cœur de son poète d’amour et de désespoir explose dans les longues lignes de chant pucciniennes. Le timbre clair et frais a les mille couleurs de la jeunesse. La dégaine est décontractée mais le phrasé reste rigoureux.
Certes, S.Secco aime voyager dans d’autres répertoires, dont Puccini, mais revenir à Verdi me paraît essentiel en ce qui le concerne. Lumineux dans ses déchaînements d’héroïsme comme dans son lyrisme romantique en Infant Don Carlo (Bastille/14.03.2010/mes. Graham Vick), il me convainc de l’inclination de son talent pour la musique du Maestro di Busseto. Sa diction italienne, étudiée notamment avec Renata Scotto, sert exactement le théâtre verdien. Elle est pour moi l’égale de la diction française de Roberto Alagna. Tonicité du mordant ou cantabile soyeux, son Italien demeure limpide, supérieur. Respiration fondamentale apprise avec Franco Corelli (Opéra Magazine n°48/Michel Parouty), chant « di slancio » bouillant, gloire et couleurs des aigus, registres unis et confortables…tout est bon chez notre ténor milanais pour célébrer l’appétit dramatique de « Big Boss Peppino ». Oui, Verdi et Secco se comprennent à demi notes !
Autre caractéristique réjouissante, quel que soit le compositeur interprété, le « canto secchiano » accorde une égale importance au rythme et à la mélodie dans sa construction du discours musical. Cette voix contient en elle les forces de la danse, peut-être l’empreinte de ses études de percussionniste professionnel auprès de Tullio Di Piscopo.
Avec cette opiniâtreté qui se lit dans le regard et dans le geste, avec cette saine manie de mordre dans son art à pleines dents, avec la classe de l’artiste qui paye toujours cash sur scène, Stefano Secco sera bientôt Rodolfo dans « La Bohème » à Turin en juillet 2015 et Mario Cavaradossi dans « Tosca » à Venise en septembre 2015. Deux de ses Puccini où tendresses ondoient et passions flamboient. En attendant la sortie de son premier album solo « Crescendo », chez Delos en novembre 2015 (voir son site).

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