mercredi 23 septembre 2015

IL TROVATORE de Verdi, mes. Charles Roubaud - Chorégies d'Orange/ 04.08.2015, sur Franc2 et Culturebox -

    Du charme (les vidéos de Camille Lebourges, les costumes de Katia Duflot et les lumières de Jacques Rouveyrollis), du dynamisme (dans l’action, dans les déplacements des solistes et des chœurs) et un classicisme, plan-plan certes, mais fort plaisant pour cette mise en scène du Trovatore de Verdi par Charles Roubaud au Théâtre Antique d’Orange, le 4 aôut 2015 sur France2 et Culturebox. Sa transposition du livret pendant la guerre civile d’Espagne (1936) fonctionne bien. Et nous sommes loin ici des réalisations provocantes, narcissiques, et parfois schizophrènes de certains de ses collègues, ce qui est un bienfait pour l’œuvre et pour le spectateur. Le Turandot de C.Roubaud, dans ce même théâtre en 2012 (avec Roberto Alagna et Lise Lindstrom) m’a semblé plus inspiré, mais il est vrai que mettre en scène à Orange est un exercice toujours difficile, en raison notamment de l’immensité des lieux.
   L’ivresse, elle, vient du firmament vocal concocté par notre bon sorcier Raymond Duffaut.
Si le Conte di Luna/Georges Petean est le plus odieux de cette histoire, c’est la voix la plus radieuse de tout le plateau. Timbre d’acajou précieux innervé d’argent, chant-fleuve à la ligne splendide, aux aigus commodes, une leçon idéale de probité vocale.
Tremenda (terrible) l’Azucena de Marie-Nicole Lemieux, et supérieure à celle de Salzbourg/2014. Vibrato quasiment gommé, récitatifs luxueux, sublimes passages entre bas-médium et graves, aisance du style. L’incarnation est puissante, une Azucena lugubre, à la sourde violence, à la douleur pénétrante.
Lorsque Roberto Alagna paraît, la toile prend feu. Je suis consternée par la foultitude de querelles superflues au sujet de ses prestations et j’admire le courage de ses défenseurs. Roberto Alagna est un homme joyeux, mais, lorsqu’il est en scène, c’est d’abord la gravité de sa passion qui transparaît, dans l’intense concentration de ses notes, dans cette volonté de donner le meilleur de sa musique. Manrico, Faust, Don José, Paolo Il Bello, Turiddu, Canio (derniers rôles entendus)…ce chant aristocrate est lumière d’ambre et lait d’ivoire. En Manrico, seuls quelques aigus manquent de tendresse, peut-être une méforme passagère.
Les beautés vénusiennes du rôle de Leonora siéent au timbre pulpeux de Hui He. Mise-à-part la cadence finale de son air « D’amor sull’ali rosee » (ActeIV/Scène1) passablement fausse, ce lirico-spinto généreux a un legato raffiné, un art des nuances subtil, une morbidezza attachante.
Solide Ferrando de Nicolas Testé dont les graves réjouissent le cœur.
Excellence des ensembles solistes, comprimari efficaces (Ludivine Gombert, Julien Dran, Bernard Imbert) et chœurs appréciables (Opéras Grand Avignon, de Nice et de Toulon/Provence-Méditerranée).
Le tissu orchestral est précis, sobre, sévère, sans affects stériles. Bertrand de Billy et l’Orchestre National de France mettent en lumière la cruauté et l’horreur du livret. « Quale orror » dit Manrico à Azucena (ActeII/Scène1).

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samedi 5 septembre 2015

ALCINA de Haendel, mes. Katie Mitchell - Aix/10.07.2015/Arte -

   Avec l’ALCINA de Haendel au Festival d’Aix, le 10.07.2015 sur Arte, c’est la politique du « deux en un » : pour le prix d’une place d’opéra, vous avez aussi une place de peep-show/SM, ici du « porno soft et chic », comme dit si bien Le Blog du Wanderer /14.07.2015. Quatre scènes sadomasos tout de même ! Barbantissime, alors qu’une seule aurait suffit à ce que nous comprenions la vision de la metteure en scène Katie Mitchell. Les critiques parlent de « revendication du féminisme de la mise en scène » (Le Blog du Wanderer), de « brûlant manifeste du plaisir féminin » (ResMusica/07.07.2015).
Soit. Malgré mon agacement à ce sujet, K. Mitchell conduit avec maestria sa réactualisation d’un livret peu substantiel à la base. Elle combine parfaitement cette histoire de magie vieillotte à notre monde actuel par le biais d’un décor (Chloé Lamford) sur deux niveaux et plusieurs entrées, permettant le passage d’un monde à l’autre. Au milieu, l’espace principal où les sœurs enchanteresses Alcina et Morgana exercent leurs sortilèges amoureux sous l’aspect de belles jeunes femmes modernes. Puis, deux espaces latéraux où, sitôt la porte franchie, elles redeviennent les vieilles et laides sorcières qu’elles sont réellement, remarquablement incarnées par les deux actrices Juliet Alderdice et Jane Thome. Ces nombreuses métamorphoses (faites dans les deux sens) sont autant de moments saisissants et minutieusement réalisés. Avec ses ballets incessants de valets et femmes de chambre, raides et intensément disciplinés, avec un parfum de maniaquerie dans la scénographie et jusques dans les scènes de perversions sexuelles, K.Mitchell semble très certainement avoir voulu un ALCINA morbide et y a d’ailleurs réussi ! En dépit de quelques détails humoristiques, cette mise en scène reste pesante et parfois fastidieuse.
   L’attrait de cette production vient de l’engagement généreux et des innombrables talents du plateau vocal. Avant tout il y a l’Alcina prodigieuse de Patricia Petibon. La plus grande force de cette artiste hypersensitive est sa recherche absolue d’expressivité. Son chant palpitant sait toujours transmettre l’éternelle modernité des émotions humaines. Son amant-objet Ruggiero/Philippe Jarrousky nous enrobe d’une dentelle virtuose de notes étourdissantes. Par la délicatesse de l’ornementation, par le raffinement des nuances, par la grâce de son interprétation, il parvient à donner du caractère à « Verdi prati » (ActeII), air (pour moi) le plus insipide du répertoire haendélien. « Anna Prohaska minaude sa Morgana au point d’amollir les contours de la ligne… » dit David Verdier/Altamusica/10.07.2015. Ce qui n’est pas faux. Mais n’est-ce pas une volonté de marquer d’une forme de sensualité ce rôle -très difficile- que K.Mitchell lui fait jouer intégralement dans des scènes sadomasos ? Son chant est impeccable mais gêné (j‘ai l’impression) par les contraintes de la mise en scène. Elle a bien du mérite, la jeune A. Prohaska d’avoir accepté les délires de la Mitchell ! Somptueuse étoffe bordeaux que le mezzo de Katarina Bradic ! Sa Bradamante est ardente de jeu comme de timbre, mais la technique vocale, honorable, nécessiterait quelquefois un peu plus de projection. Anthony Gregory/Oronte est tout-à-fait efficace et très investi scéniquement, comme la belle basse Krzysztof Baczyk/Melisso. L’Oberto d’Elias Mädler est charmant et appliqué, mais je préfère une voix plus mûre pour ce rôle.
   Si Andrea Marcon (direction musicale) et les Freiburger Barockorchester nous content un ALCINA ravissant, tout en souplesses et en onctuosités, dans une alliance idéale avec les voluptés du plateau, cette exécution manque de poigne.
Mon affection  va à la direction musicale de Christophe Rousset (La Monnaie/03.2015/mes. Pierre Audi) où l’on retrouve « toutes les saveurs de l’écriture haendélienne, la virilité qui galvanise, la force des épanchements, la sévérité et la colère qui foudroient ou encore cette légèreté toujours majestueuse… », comme je l’ai écrit dans ce même blog au mois de mars 2015 .

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GUILLAUME TELL de Rossini, mes. Damiano Michieletto - ROH/ciné-live/05.07.2015 -

    J’étais au cinéma le 05 juillet 2015 pour le GUILLAUME TELL de Rossini/mise en scène Damiano Michieletto, en direct du Royal Opéra House.
Dommage que la presse se soit focalisée sur cette scène de « viol collectif », qui n’est que suggéré, car édulcoré pour le cinéma suite à la colère du public et de quelques critiques ! Cela reste violent, c’est vrai, mais ne dure qu’environ 10 minutes sur 4 heures. Et, en ce qui concerne les nombreuses remarques sur la présence des enfants, malheureusement, ils voient et subissent bien pire et sur des temps bien plus longs à la télé, au ciné comme dans les jeux-vidéo ! D’autant plus que je doute que de nombreux parents emmènent leurs rejetons voir un opéra d’une telle longueur !
Cette scène n’est pas incohérente. Elle se situe à l’ActeIII/Scène2 et remplace, dans le livret initial, une scène où les Autrichiens fêtent leur victoire sur les Suisses, en forçant les femmes suisses à s’incliner devant leurs trophées de guerre. La transposition de Damiano Michieletto raconte sensiblement la même chose, en plus « hard » : c’est effectivement pendant la fête de l’armée victorieuse que les soldats vainqueurs tentent de violer une femme.
Cette production n’est pas du tout un ratage, je n’ai pas senti passer les 4 heures d’opéra. Et il n’y a pas d’agitation constante sur le plateau non plus, mais une direction de chanteurs-acteurs précise et efficace. Seul l’ActeI traîne un peu, le moins mobile justement. Les lumières dans l’ensemble ne sont pas assez travaillées. De très belles idées et de très beaux tableaux vivants, cette relation entre la terre nourricière et patrie, de la vraie terre, qui couvre tout le temps le plateau, et les paysans, torses nus ou en marcel, ainsi que tout ce peuple paysan vaincu et soumis, pauvrement habillé. Cet immense tronc d’arbre aux branches dénudées, autour duquel se déroulent de nombreuses scènes. Le double de Guillaume Tell, en costume médiéval, la vieille bande dessinée sur G.Tell dont les images passent par moments en vidéo, et cet enfant qui vient planter un arbre de vie et de paix dans la terre au milieu de scène en fin d’opéra, des éléments chaleureux et réconfortants au milieu du désespoir de la guerre.
Une direction musicale/Antonio Pappano, opulente, un Rossini tout de fougueuses rondeurs, haut en couleurs, en nuances, en dynamiques. Le Chœur/ROH, capital dans cet opéra, fabuleux dans sa présence et dans son interprétation. Un plateau vocal marquant  : Gérald Finley/Guillaume Tell bouleversant -comme à chaque fois ce baryton met le feu à son rôle-, John Osborn/Arnold déchiré et chant rayonnant, une Mathilde bcbg et virtuose/Malin Byström, très touchante Hedwige de Enkeledja Skhosa,  Sofia Fomina une très belle découverte en Jemmy, un Nicolas Courjal inquiétant et détestable en Gessler, Alexander Vinogradov/Walter Furst de luxe, le digne père Melcthal d’Eric Halfvarson et de très bons seconds plans, Rodolphe/Michael Colvin, Ruodi/Enea Scala, Leuthold/Samuel Dale Johnson.
Faut-il sacrifier sur l’autel du scandale une production d’un formidable niveau artistique à cause d’une scène excessive de 10 minutes !?!?! Franchement nous avons tous vu pire que cette scène , et à l’opéra et ailleurs…

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