dimanche 28 février 2016

LA CENERENTOLA - musique/Gioacchino Rossini, livret/Jacopo Ferretti - mes/Emma Dante, dm/Alejo Perez - Opera di Roma/ciné-live/22.01.2016 - LE TRIOMPHE DU CHARME -

                                       

                                            HAPPY BIRTHDAY GIOACCHINO ROSSINI !
                                                               - né le 29 février 1792 -

                   
   Dans cette « Cenerentola », Emma Dante a merveilleusement réussi son baptême rossinien. Pour comprendre la musique du « pesarese », la « palermitana » s’est laissée envahir au quotidien par le délire multicolore de la mélodie et la vitalité euphorisante du rythme, jusqu’à en rêver la nuit (cf La Stampa/22.01.16/Sandro Cappelletto et RAI3). Du livret elle a tout gardé, le conte qu’il raconte, l’onirique et la morale, la bonté comme la cruauté, le « serio » dans le « buffo ». Sa mise en scène décode le révolu et l’habille de moderne. Passé et présent s’entremêlent, inventent l’intemporel.
C’est essentiellement à la créatrice de costumes Vanessa Sannino qu’incombe la tâche magique de construire visuellement une « Cenerentola » hors du temps, de nous offrir cette jubilatoire sensation de liberté. Si sa base d’inspiration est le mouvement « Pop Surrealism », à travers les peintures de Ray Caesar, mix de conte, d’humour et de morbide, V.Sannoni développe surtout un monde enfantin aux couleurs exubérantes, aux formes intrépides, à l’esprit moqueur. Les matières sont plutôt légères, souvent peintes, les détails, perruques et coiffures abondent et réjouissent. Cet imaginaire fécond semble aimer le défi, le jeu. Quantité de jupons mousseux mais toujours asymétriques, tulle blanc pour Clorinda et Tisbe, cendre bleutée pour Cenerentola/Angelina et ses clones. Irrégulières aussi les raides collerettes faussement princières du valet Dandini. Parmi la foule de têtes blond platine, déraisonnables perruques choucroutes-« embigoudinées »-XVIIIème, énorme tignasse crépue de Tisbe et sage coiffure plate à raie de Don Ramiro, le prince. Grosse horloge marquant minuit en guise de boucle de ceinture, pour Cenerentola, et minuscule couronne noire, tout droit sortie d’un livre d’images,  pour son prince. Les collants et les bas sont innombrables,  rayés ou imprimés, sophistiqués. Comme robes féminines, les hommes portent de gracieuses vestes courtes volantées. Comme bonbons acidulés, Don Ramiro et ses doubles ont costumes turquoise éclatant, couleur dominante, et mains gantées rouge vif. Alidoro, le précepteur, philosophe en jabot inédit et manteau de satire, dedans tapissé du catalogue des filles à marier. Liste non-exhaustive, bien sûr, de quelques unes des trouvailles de la Sannoni…
Pendant ce temps, Emma Dante la sévère montre la violence humaine contenue dans le texte. Lorsqu’elle demande à aller une seule heure au bal du prince, Cenerentola se retrouve enchaînée comme un chien par son beau-père Don Magnifico, en plus des injures et des menaces de l’assommer (ActeI/scène5/Quintetto). Fou de rage en découvrant que Cenerentola est bien la magnifique jeune fille du bal, il la bat sans scrupules, aidé par ses deux filles. C’est au moment de l’orage et les paroles de Clorinda sont alors explicites : « Sulle tue spalle Quasi mi sfogherei. »/   « Je passerai ma colère volontiers Sur ton échine » (II/6/Temporale)… Pendant ce temps Emma Dante sociologue met en scène une tripotée d’aspirantes et, mariage pour tous oblige, d’aspirants à cette union royale, préoccupés avant tout de leur ascension sociale. Déjà vêtus en blanches mariées, elles ou ils sont armés et veulent tuer la plus remarquée, la Cenerentola, avant de se suicider collectivement -à la mode de nos jours- lorsque l’échec survient…Et pendant tout l’opéra, la Dante alimente l’esprit du conte en imaginant des clones pour chacun de nos héros, admirables mîmes-danseurs, membres de sa compagnie théâtrale. Cenerentola et Don Ramiro ont donc respectivement cinq copies conformes, poupées et poupons mécaniques, rechargeables grâce  à une immense clé dans le dos, qui les accompagnent partout, aidant l’une dans ses tâches ménagères, soutenant l’autre dans sa recherche d’épouse. Par gestes, danses et mimiques, ces adorables projections amies expriment leurs affects intérieurs, comme autant d’éclaboussures de sentiments, d’émotions. Mais ici l’emploi du double est à double tranchant. Il devient punition exemplaire pour les odieux Don Magnifico, Clorinda et Tisbe, in fine transformés d’humains en automates à recharger.
Les décors de Carmine Maringola et les lumières de Cristian Zucaro viennent pondérer par leur sobriété sucreries vestimentaires, confiseries théâtrales et gourmandises rossiniennes. Une immense façade blanche de palais XVIIIème en fond de scène, des paravents aux airs variés pour définir les différents lieux, des fauteuils géants, rigolos, le canapé-confident de Cenerentola et Don Ramiro, une flopée de lustres et chandeliers pour le bal, and THE carrosse, bien sûr. De l’indispensable uniquement, en quantité suffisante et efficacement éclairé.
Le rythme général est une des forces primordiales de cette mise en scène. Le panachage entre chorégraphies vif-argent de Manuela Lo Sicco, mouvements des chœurs et direction des chanteurs-acteurs est formidablement précis, alternant assemblages et désassemblages ravissants ou comiques, toujours finement dosés, en parfaite fusion avec le chant et la musique. Tout est fluide, harmonieux.
   A riche plumage théâtral, brillant ramage du plateau rossinien.
Honneur à l’indestructible Alessandro Corbelli/Don Magnifico, « buffo » absolu et virtuose, voix chaleureuse au sillabato inouï. Des folles onomatopées de son tout premier air « Miei rampolli femminini »(I/2) en passant par sa nomination comme sommelier du prince (I/10), de son long délire se voyant déjà beau-père du roi, « Sia qualunque delle figlie » (II/1), jusqu’au duo, sommet de burlesque (II/3), où Dandini lui annonce qu’il n’est qu’un valet, ce rapace rondouillard de « Don Magnifico papà » est bien l’ambitieux insatiable et méchant détestable du livret.
Frétillantes et sans cervelle, aussi venimeuses et arrivistes que leur Don Magnifico de papa, la Clorinda de Damiana Mizzi et la Tisbe d’Annunziata Vestri sont parfaites de jeu et de chant dans deux rôles exigeant un grand investissement théâtral et peu gratifiants vocalement.
« Una grazia, un certo incanto » chez le couple Cenerentola/Serena Malfi et Don Ramiro/Juan Francisco Gatell. Le timbre argent de l’argentin et la voix pourpre-rouge de la « mezzogiornese » enlacent divinement leurs contrastes. Délices sonores à écouter particulièrement dans leur duo-rencontre (I/4), entourés de leurs répliques, « cenerentoline » et « ramirini » en émoi.
De l’infortunée jeune fille au chant rêveur, « Una volta c’era un re »(I/1) à la jeune femme auréolée de bonheur, dans l’époustouflant Rondo final, « Nacqui all’affanno…Non più mesta »(II/9), Serena Malfi, surnom « Black baccara rose », nous emballe de son velours souple et dense. La tessiture longue et unie a l’obscur entêtant et le clair aisé. La Malfi sait styler avec classe son Rossini et sa ribambelle de jouissives épreuves vocales.
Noblesse de cœur, élégance élastique de la jeunesse, Juan Francisco Gatell, surnom « Prince argentin », est un Don Ramiro idéal. Le son est de limpidité adamantine. Son instrument « di precisione », flexible comme le roseau, conquiert et fignole abondance d’ornements, vocalises et cadences, sans oublier le sillabato « di tradizione ». Généreuse musique que celle de Gatell, où le phrasé danse, radieux, expressif ! Son zénith est l’air tripartite « Si, ritrovarla io giuro»/Allegro,       « Pegno adorato e caro »/Andantino et « Noi voleremo »/Allegro vivace/Cabalette (II/2).
Pour une duperie d’importance, le Dandini de Vito Priante a bien le comportement naturel et modéré nécessaire aux grands menteurs qui doivent contrôler la situation. A ce valet au physique efflanqué, à l’allure relâchée, doué d’un chant rossinien agile, classieux et coloré, rajoutez un déguisement adéquat et vous obtiendrez le plus exquis des faux princes farceurs.
Son rôle est court, mais capital car décisif, Alidoro, précepteur de Don Ramiro, plie l’affaire du mariage de son prestigieux élève en quatre interventions. Ce philosophe teste et juges les filles du royaume, impose l’égalité des chances pour toutes, en magicien change la vie de Cenenrentola et finalement donne une belle leçon de morale aux deux « banderuole »/girouettes, Clorinda et Tisbe. Ce connaisseur des abîmes de la pensée humaine revêt les profondeurs paisibles et parfaitement rossinisantes de la basse ambre sombre d’Ugo Guagliardo.
Ensembles de haut-vol garantis par ces talentueux belcantistes. Cerise sur le gâteau, E.Dante les a réunis dans une astucieuse photo de famille pour le tube du II/8, le Sextuor « Questo é un nodo avviluppato ».
Un Coro dell’Opera di Roma très bien mis en scène et bien chantant, mais probablement mal sonorisé par moments.
   Alejo Perez (direction musicale) et l’Orchestra dell’Opera di Roma brillent principalement par un son bien en chair, moelleux, exempt de toute âpreté. Mis à part quelques savonnages de partition, les tempi choisis donnent énergie et sérénité à l’exécution de l’œuvre. La coordination fosse-plateau est optimale.
   Cette « Cenerentola » est le triomphe du charme. Espérons un DVD pour le 25 janvier 2017, date anniversaire des 200 ans de sa création. Et pour changer de l’attachante mais sempiternelle « Flûte Enchantée » initions nos marmots à l’opéra avec cette pétillante production de l’Opera di Roma/2016 !!!

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