mardi 25 juillet 2017

OTELLO - musique/Giuseppe VERDI, livret/Arrigo BOÏTO, d'après William SHAKESPEARE - dm/Antonio PAPPANO, mes/Keith WARNER, ROH/ciné-live/28.06.2017 - ESULTATE !!! -






   Avant de rentrer dans les transes musicales de l'OTELLO de Verdi/Boïto-ROH/2017, abordons la mise en scène de Keith Warner, antipathique par ses quelques loupés et ses décors réfrigérants (Boris Kudlicka). Inélégants les panneaux coulissants, comme des tôles de chantier de différents coloris, où seules des meurtrières rappellent le 15ème siècle du livret. Maigre choeur figé dans un coin, arbre mort, lys clairsemés, une scène des fleurs peut-être volontairement désolante (II/3), alors que ce temps de bonheur pour Desdemona devrait plutôt s'opposer visuellement aux premiers stigmates de la jalousie d'Otello, qui lui précèdent. Et, face au délire violent de ce dernier sur l'hypothétique infidélité de sa femme (III/9), faible idée que ce graffiti blanc "Ecco il Leone", redite du texte sur un panneau noir passant en fond de scène ! Jusque-là portant coquets pourpoint et chausses -15ème siècle, voici notre Jonas Kaufmann/Otello costumé d'une djellaba et d'un saraouel, en tissus grossiers, pour aller tuer Desdemona (IV/3). D'un goût douteux... Pour K.Warner est-ce un retour à ses origines mauresques qui pousse notre général de l'armée vénitienne au crime, ou les complexes de sa négritude, de son âge, fondus dans la jalousie ? Enfin, d'un gore carnavalesque, les litres d'hémoglobine coulant de sa poitrine au moment du suicide (IV/4-scène finale). En revanche, les costumes d'époque de Kaspar Glarner sont remarquables, par la finesse des formes, la richesse des matériaux et K. Warner dirige impeccablement ses chanteurs-acteurs. Pour autant, je le trouve inexcusable, parce que ses choix scénographiques freinent les émotions portées par le drame, les chanteurs et la musique, au lieu de les exalter.
   L'opéra au cinéma favorise le théâtre des chanteurs, grâce aux différents cadrages qui les rendent proches de nous. Dans les maisons d'opéra, même bien placés, il est difficile de suivre aussi bien leur incarnation du personnage et leur investissement émotionnel.
S'il n'a pas l'impassibilité voulue par Victor Maurel, créateur du rôle à Milan en 1887, le Iago de Marco Vratogna sait transformer son comportement à chaque instant, obstinément, pour arriver à ses fins. Nota bene : Tito Gobbi, Iago extraordinaire, n'était pas impassible. Dans cette partition, exigeant autant de diction et de mezza voce que de cantabile, le chant de Vratogna est puissant, totalement pénétré de la perfidie et de la haine du manipulateur. Troublant son "Credo in un Dio crudel" (solo-II/2). Fascinants les nombreux duos avec Kaufmann, quelle complicité dans la musique, dans l'aisance corporelle, dans leur jeu vif !
"Elle impressionnera sans vouloir faire impression", dit Boïto de Desdemona (cf. "Disposizione scenica"/1888). Et c'est un style dépouillé mais intense que Maria Agresta veut pour son épouse d'Otello. Premier duo avec lui, "Già nella notte densa" (I/3), invitation à la quiétude et à la tendresse, cantabile liquidissime et nuances délicates. Premiers soupçons de l'époux (II/4) et le chant d'Agresta se charge de chagrin. Ses yeux seront pleins de larmes lorsqu'il la traite de "vil cortigiana" (III/2) et jusqu'à sa mort. En fin, un cor anglais, deux flûtes, le chalumeau de deux clarinettes (registre grave), des instruments à vent, mais aucune corde pour un Prélude du IV, sans fard, comme notre Desdemona. Puis, "Canzon del salice" et "Ave Maria", d'une sensibilité lumineuse.
Otello, rôle redoutable pour ténor dramatique, plus que lyrico spinto. Seules ces deux catégories peuvent courir cette aventure, sans trop de risques. Le chanteur doit associer un contrôle vocal...musclé à une tension dramatique colossale et Jonas Kaufmann combine les deux avec maestria. "...les paroles de Iago font l'effet d'un poison, injecté dans le sang du Maure. Il faudra présenter le progrès fatal de cet empoisonnement moral dans toute son horreur", dit Boïto (cf.."Disposizione scenica"/1888). Assurément, Kaufmann nous fait vivre une évolution du Maure phénoménale ! Si "Esultate" nous signale sa santé éclatante (I/1), revoilà notre "Astre poète" familier dans le seul duo d'amour et de félicité avec Desdemona (I/3). De la blessure de jalousie initiale, ouverte par Iago (II/3) au borderline criminel et suicidaire (IV/3/4), JK revêt bon nombre d'états. Unis au chant, visage et regard se métamorphosent, rugissements de colère et brutalité(II/4/5-III/2), désespoir infini (solo-III/3), violences cataclysmiques (III/4/5/6/7//8), démence irréversible (III/9). La performance du chanteur ET acteur est exceptionnelle.
Belles découvertes :  Frédéric Antoun/Cassio de voix et jeu racés, Kai Rüütel/Emilia franche et sensible, In Sung Sim/Lodovico robuste comme impeccable. Bons comprimari : Thomas Barnard/Un hérault, Thomas Atkins/Roderigo, Simon Shibambu/Montano.
   Pour Antonio Pappano cet "Otello"est un Everest et les Everest vont bien à Pappano ! Il a la vigueur, la générosité, l'endurance indispensables pour diriger guerre des nerfs et fond des coeurs, audaces harmoniques et subtilités mélodiques du "capolavoro" des dernières verdeurs verdiennes. Une direction musicale et un Orchestre/ROH rutilants, des Choeurs/ROH détonants.
   Le "projet chocolat", comme l'appelait "Big boss Peppino" (Verdi), était une proposition amicale mais bien calculée de Giulio Ricordi son éditeur, soutenu par l'amie de toujours Clara Maffei (1879). Il aura fallu cinq ans et deux panettoni décorés d'un petit nègre en chocolat -offerts par Ricordi aux Noëls 1881 et 1882- pour mettre Verdi au travail (1884), avec Arrigo Boïto comme librettiste. "Otello", une des cathédrales de l'art lyrique, édifiée par deux colosses du drame musical, un compositeur dans sa plénitude et un librettiste-poète à la patte stylée, resplendit par sa densité et sa précision dramatiques, son lyrisme coruscant. Superbe cohésion entre musique et livret, "l'investissement idéal du sens dans le son" comme dit si bien Jean-Michel Brèque/ASO n°3/1990. Esultate !!!

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