jeudi 21 septembre 2017

CARMEN, musique/Georges Bizet, livret-poème/Henri Meilhac et Ludovic Halévy - mes/Nicola Berloffa, dm/Claude Schnitzler - Opéra de Rennes, 08.06.2017 -

Georges Bizet / photo Carjat
Ludovic Halévy (assis)
et Henri Meilhac

  


       Célestine Galli-Marié
        


   Saison lyrique 2016/2017, pour moi année de trois "Carmen".
Février 2017, "Carmen" nue, dans son plus simple appareil, "sans les artifices d'une mise en scène, structure musicale et forme versifiée, comme une leçon d'anatomie,(TCE/01.17/France-Musique/19.02.17/dm. Simone Young). Lien/blog/ci-dessous :
http://cantatablu.blogspot.fr/2017/05/carmen-musiquegeorges-bizet-livret.html
Juin 2017, "Carmen" poésie, astre nerveux, peinture d'un sud magnétique, scansion de puissantes émotions, (Opéra de Rennes/streaming/08.06.17/mes. Nicola Berloffa/dm. Claude Schnitzler) - Texte ci-dessous.
Juin et juillet 2017, "Carmen" sanglante, même mise en scène mais deux distributions différentes, souverainement fidèle aux créateurs, parce que de pure race espagnole et d'essence gitane, sécheresse d'arène, désirs moites et sauvages, rixes tragiques, (Opéra Bastille/25.06.17 et Culturebox/16.07.17/mes. Calixto Bieito/dm. Mark Elder) - Texte à venir sur ce blog.

   Vue en juin, puis revue en septembre (site/Opéra de Rennes), la "Carmen-Berloffa" conserve toujours ses mêmes forces : poésie, perfection du temps théâtral en adéquation avec musique et images, style nerveux fondant d'émotions, entre Italie moelleuse et Espagne rugueuse. Berloffa est un metteur en scène qui fait beaucoup avec peu. Les décors sont trois, simples mais efficaces (Rifail Adjarpasic). Brièvement, au I et II, hangar de bois et ventilos géants à hélices, au-dessus d'énormes persiennes éclairées, réminiscences de films américains, polars ou westerns. Au III, bidons braseros et arbres déracinés pour la forêt. Mais le coup de génie de cette mise en scène se trouve au quatrième acte : cirque mammouth, fanfares et toreros, foultitude bruyante et fiesta sont remplacés par une salle de cinéma de campagne, où un public de tous âges regarde le film "Carmen" d'Ernst Lubitsch (1918). Sur l'écran, c'est jour de corrida à Séville -comme au IV de l'opéra-, et l'assistance vit conjointement l'action, chante, danse, imite... Passé et présent vibrent, assemblés, chaleureuses superpositions d'images. 
Les couleurs des costumes sont peu nombreuses mais alliées avec bonheur (Ariane Isabel Unfried). Noir abondant, sud oblige : noires les combinaisons recouvertes de blouses beiges pour Carmen et les cigarières. Avec leurs longs cheveux dénoués elles évoquent l'actrice italienne Anna Magnani (I). Noires les robes de danse et  leurs jupons blancs, noir et jaune les tenues de quelques danseuses originales. Personnage aux antipodes de Carmen, Micaëla est toute rose fuschia au I. Au III et IV, là où se déroule la tragédie, l'esprit du noir change, s'oppose au blanc, âpre combat entre vie et mort. Les chevelures se nouent en chignons sévères au bas des nuques, les visages se font flamencos, que seules viennent éclairer les perles blanches des boucles d'oreilles. Autres vertus de cette mise en scène, une direction incisive des chanteurs et des acteurs, avec un grand souci du texte, et une séduisante organisation graphique des mouvements de groupes en tableaux symétriques et asymétriques, bien synchronisés.
Pour ce plateau vocal pas de stars et tout leur tralala, mais du luxe francophone et les fastes de sensibilités frémissantes.
Julie Robard-Gendre a la caresse des sons et la caresse du feu de Carmen, elle en a pleinement l'étoffe. C'est avec l'allure désinvolte et aristocratique d'une panthère qu'elle rencontrera et aimera Don José aux premier et second actes. Son chant est électrique, généreux, la ligne de grande souplesse et les graves corsés. A partir d'un air des Cartes au tempo optimum, de panthère elle devient aigle, cheveux tirés, regard perçant, désespérée (III). Cette silhouette altière noire et blanche va déployer de vastes ailes pour affronter sa mort avec courage (IV).
Son Don José/Antoine Bélanger est stylé. Si la voix n'est pas des plus amples, elle est admirablement conduite. Bélanger contrôle toujours technique et drame dans cette tessiture difficile, souvent située dans la zone de passage. Peu fréquent, il nous offre un si bémol aigu, tenu pianissimo, comme écrit en fin d'air de "La Fleur que tu m'avais jetée" (II/17). Candide et profondément amoureux (I et II), décomposé par la jalousie jusqu'à la rage et le délire meurtrier (III et IV), le ténor varie l'expression et fait sans cesse évoluer son personnage. Captivant !
Repérée en Lisa dans "La Sonnambula" de Bellini (Bastille/2010), Marie-Adeline Henry a timbre charnu et projection vigoureuse. Sa Micaëla est plus romantique que naïve, de présence intense, nuances fignolées et grand souci des couleurs. Escamillo sans habit pailleté ni excès de fanfaronnade, Régis Mengus est un jeune et sémillant torero, aux nerfs solides, au chant soigné. La bande à Carmen, ses quatre potes bohémiens, Frasquita/Marie-Bénédicte Souquet, Mercèdes/Sophie Pondjiclis, Le Dancaïre/Pierrick Boisseau et Le Remendado/Olivier Hernandez sont "au poil", fins chacals et renardes guillerettes au mordant et à l'agilité essentiels pour l'opéra-comique. La bonne basse Ugo Rabec est l'antipathique officier Zuniga, cherchant à posséder Carmen et tué sans pitié par Don José au II/18. Sans oublier Jean-Gabriel Saint-Martin, caporal Moralès ad hoc en harceleur doué, et le tavernier Lilas Pastia/Benjamin Leblay, veste et borsalino immaculés, surveillant de près la consommation de manzanilla de nos exquises Frasquita et Mercèdes ! Les gamines et gamins de la Maîtrise de Bretagne sont les plus mimis et plus appliqués petits soldats de l'année, avec un Choeur de l'Opéra de Rennes louable et de caractère (Gildas Pungier).
   Si de plus jeunes adoptent des tempi expéditifs sur l'ensemble de l'oeuvre, le chef d'orchestre Claude Schnitzler, avec un impeccable Orchestre Symphonique de Bretagne, fait respirer la partition, moins d'éclat et plus de récit. Le chef-d'oeuvre de Bizet a tous ses parfums, élans impétueux, équilibres comiques comme palpitations romantiques. Une "Carmen" classique, dans toute sa plénitude.
   "L'intelligence-Surrans", comme j'appelle le Directeur de l'Opéra de Rennes (jusqu'en janvier 2018), déterminé depuis toujours à faire aimer par tous la voix et l'opéra, a façonné une mosaïque artistique de coeur, de classe, de relief pour sa "Carmen"- grand écran.



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