vendredi 20 mars 2015

JONAS KAUFMANN, ténor, 08/2014.


   Vous reprendrez bien un peu de Jonas Kaufmann ?
   Toute folie adoratrice peut paraître suspecte. Celle qui entoure Jonas Kaufmann m’a incitée, il y a quelques années, à garder la tête froide quant à son chant. Pas de coup de foudre vocal mais une approche progressive et, aujourd’hui, une reconnaissance et un attachement inaltérables à cet artiste singulier qui, à chaque prise de rôle, révolutionne la planète lyrique.
Il fut un temps ma question était : pourquoi cet engouement pour une voix si opaque ? Parce que c’est l’étrangeté du timbre qui attire d’abord. Le soleil du ténor est caché chez J.Kaufmann, couvert par une lune tendre, celle qui s’entend dans ses longs pianissimi. Le ténor de J.Kaufmann est éclipse de soleil qu’une couronne de flammes entoure, feu du corps à fleur des sons. Puis, la scène m’a révélé ce héros musicien dont la prière est de toujours chanter comme si c’était la dernière fois (voir Diapason / 06/2014 / Vincent Agrech). N’est-ce-pas la route supérieure pour incarner l’être dans la musique, pour que les notes donnent le cœur de celui qui chante ?
   05/07/2013 / Munich / Il Trovatore / live-streaming et 28/07/2014 / Munich / La Forza del Destino / Arte. Ecouter le Manrico et l’Alvaro de Jonas Kaufmann c’est aussi prendre conscience de l’évolution phénoménale de la voix. Exit le jeune ténor, nous voilà face à un homme ténor, en pleine possession de ses moyens vocaux. Effets de la « Corelli Scuola », le développement maximum du souffle, l’approfondissement des connaissances et de la maîtrise dans ce domaine s’entendent et se voient, de toute évidence. La part autrefois terne du timbre disparaît au profit d’un brillant nouveau, avec l’aigu vient plus de métal, les pianissimi trouvent la lumière, la vaillance est décuplée…
   De son royaume lointain, le « Prince triste » (voir Forumopéra / « Franco Corelli, le prince triste » / 28/10/2013 / Sylvain Fort) illumine la trajectoire de notre astre poète.
                                                                                                   
ACTUALITE : Eclipse du soleil du vendredi 20 mars 2015 !

                                                                       *********

- Dépôt SACD n°277418 -


dimanche 15 mars 2015

AU MONDE, musique/Philippe Boesmans, texte-mes/Joël Pommerat - Bruxelles/La Monnaie/29.04.2014/Arteconcert -


Musique de Philippe Boesmans, livret et mise en scène de Joël Pommerat,
La Monnaie, représentation du 29.04.2014, sur ArteConcert.
 
  J’ai découvert la musique de Philippe Boesmans par son opéra Au Monde. C’est comme si j’avais un nouvel objet de déco à mettre chez moi et que j’avais l’impression, tout-à-coup, que la place choisie pour cet objet avait toujours été la sienne, comme s’il avait toujours été placé là.
La musique de Boesmans vit chez moi depuis bien longtemps, même avant de l’écouter pour la première fois. Elle vient réveiller mille mémoires sonores en moi parce qu’elle fusionne tant de musiques ! Il ne s’agit pas de patchwork musical, mais de styles qui voyagent et se transforment sans cesse, vite, qui s’effilochent, comme les nuages, ou se condensent, qui se diluent l’un dans l’autre. Boesmans compose des métamorphoses. Le dialogue nourri des instruments étonne et ravit constamment, passant en quelques mesures de la formation quasi chambriste ou de jazz au grand orchestre -et vice-versa. Un accordéon slalome et se fait caméléon, une trompette ouvre des chemins de mélancolie et d’angoisse, les cordes, elles, sont so lyriques et touchantes… Et l’oreille de guetter les prochaines nouveautés sonores à savourer. La formidable mobilité et le foisonnement des timbres de cette écriture musicale passionnent. Le chant tague la toile orchestrale de lignes solitaires et parfois entremêlées, aux émotions vertigineuses, aux non-dits assourdissants. Les voix épousent pleinement l’abrupt et le moelleux, l’opacité et le chatoiement des notes. Les chanteurs sont parvenus à une unité de style peu commune. Chapeau bas à Patrick Davin pour l’ensemble de sa direction musicale !
Il y a évidemment beaucoup à dire sur les immenses qualités du texte et de la  mise en scène de Joël Pommerat et il faut absolument, à ce sujet, (re)lire le beau compte rendu de Claude Jottrand/Forumopera.com/30.03.2014.
Mais ce qui m’a le plus fascinée est d’écouter cet opéra. La musique de Boesmans pour « Au Monde » est d’essence aérienne par sa forme, malgré la noirceur toute humaine du propos. Elle est loin des eaux et ressacs du Pelléas debussyste. Elle est un siècle plus loin et, depuis, tant de musiques sont passées sous les ponts ! Alors que l’esprit du texte de Pommerat, lui, se rapproche de Maeterlinck.
                                                                                                                                                                  ACTUALITE : A (ré)-écouter sur le site de France -Musique jusqu’au 13.04.2015
http://www.francemusique.fr/emission/samedi-soir-l-opera/2014-2015/au-monde-de-philippe-boesmans-03-14-2015-19-00

                                                                         *********

- Dépôt SACD n°277418 -


KRASSIMIRA STOYANOVA, soprano, 09/2013.


   Découverte de Krassimira Stoyanova en Luisa (Verdi), à Bastille en 2011.
Profonds respect et reconnaissance en écoutant cette voix aussi exceptionnelle qu’émouvante.
Krassimira Stoyanova ou la lune qui chante. La lune pleine, robe immaculée et éclat dense, inondant toute l’encre du monde.
Le « son-Stoyanova » est javelot, à la trajectoire étincelante et concentrée.
Elisabeth de Valois déchirée par son amour tragique (Vienne/2012), lumineuse Luisa ou encore sublime d’innocence en Desdemona (Barcelone/2006).
Krassimira Stoyanova écrit, à chaque fois, une musique généreuse, déployée en lignes interminables, gorgée des couleurs du dire, sous-tendue par sa foi dans le chant lyrique.
                                                                                                   
ACTUALITE : Marguerite dans le Faust de Charles Gounod, encore les 18,22,25 et 28 mars 2015, à l’Opéra-Bastille.

                                                                      *********

- Dépôt SACD n°277418 -


vendredi 13 mars 2015

ALCINA de Haendel, mes. Pierre Audi - Bruxelles/La Monnaie/02-03.2015 - VOYAGE EN HARMONIE -

L’Alcina de Georg Friedrich Haendel, livret anonyme ? ou de Antonio Marchi ? d’après le Roland Furieux de l’Arioste,
Sur Mezzo.Tv/07.02.2015, sur Culturebox jusqu’au 10.08.2015 et sur le site du Théâtre de La Monnaie/Bruxelles/02-03.2015.

   « Harmonie », mot qui vient à l’esprit à propos de l’Alcina de Haendel, mis en scène par Pierre Audi à La Monnaie, en février 2015. Cette sensation naît de l’intelligence d’assemblage des arts de scène, de l’inventivité qui nourrit le drame et d’une symbiose idéale entre musique et théâtre, tous deux à un niveau d’excellence.
  Les décors de Patrick Kinmonth encadrent le plateau sans jamais l’envahir. Toiles peintes de feuillages exubérants, incitant à vivre les plaisirs de l’île de la magicienne Alcina (ActeI). Puis, châssis de ces mêmes toiles, ou envers du décor, lorsque cesse l’envoûtement de Ruggiero par Alcina (ActeII)…pour souligner qu’au royaume de « l’incanto » tout n’était que trompe-l’œil ou monde factice ! Enfin, une voûte de nuages noir-orage accompagne Alcina pleurant sa défaite -
« Mi restano le lagrime » (ActeIII). Pour les accessoires, un bandeau blanc sur les yeux de Ruggiero, comme un jeu, mais comme son aveuglement sous l’emprise d’Alcina. Une chaise, une seule, mystérieuse, qui apparaît au II. Elle est renversée maintes fois, par Bradamante, par Oronte, par Alcina elle-même et par les ombres qu’elle invoque. Tantôt objet, et surtout double d’Alcina. Prémonitoire, elle annonce sa chute et sa mort.
Codes couleurs pour les aristocratiques costumes XVIIIème -de P. Kinmonth aussi. Gris pour  le monde de la magie et crème pour celui des hommes ordinaires. A l’exception d’Alcina qui troque sa délicate robe rose pâle, outil de sa conquête amoureuse, contre une banale robe grise, au moment des adieux définitifs de Ruggiero - « Verdi prati » (ActeII).
Le plateau constamment nu et le fond de scène souvent noir rendent chaque personnage essentiel. Et aucun d’eux n’échappe à la palette des lumières de Matthieu Richardson, qui sculpte corps et costumes de clairs et d’obscurs enivrants.
Si la mise en scène de Pierre Audi semble « historiquement informée » (cf. Tancrède Scherf/30-31.01.2015/www.asopera.fr), elle n’en est pas moins éblouissante. Sa direction de chanteurs-acteurs -qui se donnent à 500%- saisit méticuleusement chaque infime moment musical où un sentiment, une situation peuvent être exploités théâtralement. Objectif, confondre totalement musique et jeu. Réjouissants tableaux vivants -notamment pour les « da capo » d’arias- avec déplacements symétriques ou asymétriques dans l’espace, arrêts sur image et gestuelle très marquée. C’est comme un jardin à l’anglaise, où la végétation s’épanouit en un désordre habilement orchestré, pour donner l’illusion du naturel, de la vie.
Les images de Stéphan Aubé relèvent avec pertinence les subtilités de cette mise en scène.
Par ailleurs, Pierre Audi va au-delà en remaniant quelque peu le récit. Alcina se suicide en avalant un poison et, au même moment, sa sœur et meilleure alliée, la volage Morgana, est tuée par  son amant Oronte, chef des armées de l’enchanteresse. C’est plus lisible et plus vraisemblable que cette histoire d’urne, contenant les pouvoirs d’Alcina, que Ruggiero fait voler en éclats à la fin du livret initial.                                                  
   Pour s’unir au théâtre, Christophe Rousset (direction musicale) recherche avant tout la dramaturgie de la musique. L’ornementation des « da capo » n’est pas pyrotechnie vocale gratuite mais expression des sentiments. Ses Talens Lyriques ont toutes les saveurs de l’écriture haendélienne, la virilité qui galvanise, la force des épanchements, la sévérité et la colère qui foudroient ou encore cette légèreté toujours majestueuse…
   Si Sandrine Piau est monumentale en Alcina, le reste du plateau vocal réserve de formidables surprises. Le travesti de Maïté Beaumont est parfait, son Ruggiero est un vrai garçon ! Le timbre sombre et moelleux se fond dans un jeu bien masculin. Seules les quelques rondeurs morphologiques de la mezzo nous ramènent parfois à la réalité. La cantilène est belle (« Mi lusinga il dolce affetto », « Verdi prati »), mais c’est dans la bravoure et la rage guerrières que brille toute la virtuosité de M. Beaumont (« Di te mi rido », « La bocca vaga », « Sta nell’Ircana pietrosa tana »). Second mezzo, Angélique Noldus fait montre d’un solide savoir-faire, avec deux airs à la vélocité redoutable (« E gelosia », « Vorrei vendicarmi »). Son Ricciardo/Bradamante, frais et naturel est d’une grande crédibilité. La Morgana de Sabina Puértolas est finement caractérisée. Audacieuse (« O s’apre al riso »), rossignol amoureux (« Tornami a vagheggiar ») ou amante repentie (« Credete il mio core »), son soprano colorature, charnu et chatoyant, sied à cette incorrigible séductrice qui cherche à assouvir tous ses désirs, à l’image de sa puissante sœur Alcina. Le chant de Daniel Behle/Oronte -très bon acteur aussi- se distingue par l’élégance du style. Le phrasé rythmique, inflexible mais ludique, met en relief la netteté de sa vocalisation. Giovanni Furlanetto/Melisso/Atlante convainc plus dans cette partition, plutôt « parlé-chanté », que chez Donizetti (Balthazar/La Favorite) ou chez Puccini (Géronte de Ravoir/Manon Lescaut). Le timbre reste ingrat, mais le théâtre est habité, le visage éminemment expressif. Adorable Oberto de Chloé Briot. Son premier air - « Chi m’insegna il caro padre »- est très réussi, mais la voix ne semble pas toujours libre. Ceci expliquant en partie les savonnages de vocalises au III dans
« Barbara ! Io ben lo so ». Travail à mûrir tout simplement.
Le rôle d’Alcina est écrasant mais Sandrine Piau le transcende. Sa musique lumineuse et son incarnation raffinée respirent ensemble. La diva Piau peut même se permettre un cri rauque dans cet océan d’aigus adamantins ! Ses mains, à elles seules, racontent la somme phénoménale de concentration et d’énergie employées. Au cours de ses six airs -sans compter le reste de présence- la tension va crescendo et la grande tragédienne s’impose. Son sommet est au II, dans le long « Ah, mio cor, schernito sei…Ma son regina » où se révèle la construction d’un personnage, en rien monolithique, mais déchiré entre goût du pouvoir et sentiments humains. Par-delà les émotions, on est touché par la quête de rigueur et de maîtrise de la chanteuse-actrice.
   Peut-être pied de nez aux excès et inutilités scéniques en tout genre, cette production d’Alcina nous donne une généreuse leçon d’opéra, une référence et un modèle d’inspiration pour les générations à venir.                                                                                                                  
                                                                      *********

- Dépôt SACD n°277418 -