vendredi 13 mars 2015

ALCINA de Haendel, mes. Pierre Audi - Bruxelles/La Monnaie/02-03.2015 - VOYAGE EN HARMONIE -

L’Alcina de Georg Friedrich Haendel, livret anonyme ? ou de Antonio Marchi ? d’après le Roland Furieux de l’Arioste,
Sur Mezzo.Tv/07.02.2015, sur Culturebox jusqu’au 10.08.2015 et sur le site du Théâtre de La Monnaie/Bruxelles/02-03.2015.

   « Harmonie », mot qui vient à l’esprit à propos de l’Alcina de Haendel, mis en scène par Pierre Audi à La Monnaie, en février 2015. Cette sensation naît de l’intelligence d’assemblage des arts de scène, de l’inventivité qui nourrit le drame et d’une symbiose idéale entre musique et théâtre, tous deux à un niveau d’excellence.
  Les décors de Patrick Kinmonth encadrent le plateau sans jamais l’envahir. Toiles peintes de feuillages exubérants, incitant à vivre les plaisirs de l’île de la magicienne Alcina (ActeI). Puis, châssis de ces mêmes toiles, ou envers du décor, lorsque cesse l’envoûtement de Ruggiero par Alcina (ActeII)…pour souligner qu’au royaume de « l’incanto » tout n’était que trompe-l’œil ou monde factice ! Enfin, une voûte de nuages noir-orage accompagne Alcina pleurant sa défaite -
« Mi restano le lagrime » (ActeIII). Pour les accessoires, un bandeau blanc sur les yeux de Ruggiero, comme un jeu, mais comme son aveuglement sous l’emprise d’Alcina. Une chaise, une seule, mystérieuse, qui apparaît au II. Elle est renversée maintes fois, par Bradamante, par Oronte, par Alcina elle-même et par les ombres qu’elle invoque. Tantôt objet, et surtout double d’Alcina. Prémonitoire, elle annonce sa chute et sa mort.
Codes couleurs pour les aristocratiques costumes XVIIIème -de P. Kinmonth aussi. Gris pour  le monde de la magie et crème pour celui des hommes ordinaires. A l’exception d’Alcina qui troque sa délicate robe rose pâle, outil de sa conquête amoureuse, contre une banale robe grise, au moment des adieux définitifs de Ruggiero - « Verdi prati » (ActeII).
Le plateau constamment nu et le fond de scène souvent noir rendent chaque personnage essentiel. Et aucun d’eux n’échappe à la palette des lumières de Matthieu Richardson, qui sculpte corps et costumes de clairs et d’obscurs enivrants.
Si la mise en scène de Pierre Audi semble « historiquement informée » (cf. Tancrède Scherf/30-31.01.2015/www.asopera.fr), elle n’en est pas moins éblouissante. Sa direction de chanteurs-acteurs -qui se donnent à 500%- saisit méticuleusement chaque infime moment musical où un sentiment, une situation peuvent être exploités théâtralement. Objectif, confondre totalement musique et jeu. Réjouissants tableaux vivants -notamment pour les « da capo » d’arias- avec déplacements symétriques ou asymétriques dans l’espace, arrêts sur image et gestuelle très marquée. C’est comme un jardin à l’anglaise, où la végétation s’épanouit en un désordre habilement orchestré, pour donner l’illusion du naturel, de la vie.
Les images de Stéphan Aubé relèvent avec pertinence les subtilités de cette mise en scène.
Par ailleurs, Pierre Audi va au-delà en remaniant quelque peu le récit. Alcina se suicide en avalant un poison et, au même moment, sa sœur et meilleure alliée, la volage Morgana, est tuée par  son amant Oronte, chef des armées de l’enchanteresse. C’est plus lisible et plus vraisemblable que cette histoire d’urne, contenant les pouvoirs d’Alcina, que Ruggiero fait voler en éclats à la fin du livret initial.                                                  
   Pour s’unir au théâtre, Christophe Rousset (direction musicale) recherche avant tout la dramaturgie de la musique. L’ornementation des « da capo » n’est pas pyrotechnie vocale gratuite mais expression des sentiments. Ses Talens Lyriques ont toutes les saveurs de l’écriture haendélienne, la virilité qui galvanise, la force des épanchements, la sévérité et la colère qui foudroient ou encore cette légèreté toujours majestueuse…
   Si Sandrine Piau est monumentale en Alcina, le reste du plateau vocal réserve de formidables surprises. Le travesti de Maïté Beaumont est parfait, son Ruggiero est un vrai garçon ! Le timbre sombre et moelleux se fond dans un jeu bien masculin. Seules les quelques rondeurs morphologiques de la mezzo nous ramènent parfois à la réalité. La cantilène est belle (« Mi lusinga il dolce affetto », « Verdi prati »), mais c’est dans la bravoure et la rage guerrières que brille toute la virtuosité de M. Beaumont (« Di te mi rido », « La bocca vaga », « Sta nell’Ircana pietrosa tana »). Second mezzo, Angélique Noldus fait montre d’un solide savoir-faire, avec deux airs à la vélocité redoutable (« E gelosia », « Vorrei vendicarmi »). Son Ricciardo/Bradamante, frais et naturel est d’une grande crédibilité. La Morgana de Sabina Puértolas est finement caractérisée. Audacieuse (« O s’apre al riso »), rossignol amoureux (« Tornami a vagheggiar ») ou amante repentie (« Credete il mio core »), son soprano colorature, charnu et chatoyant, sied à cette incorrigible séductrice qui cherche à assouvir tous ses désirs, à l’image de sa puissante sœur Alcina. Le chant de Daniel Behle/Oronte -très bon acteur aussi- se distingue par l’élégance du style. Le phrasé rythmique, inflexible mais ludique, met en relief la netteté de sa vocalisation. Giovanni Furlanetto/Melisso/Atlante convainc plus dans cette partition, plutôt « parlé-chanté », que chez Donizetti (Balthazar/La Favorite) ou chez Puccini (Géronte de Ravoir/Manon Lescaut). Le timbre reste ingrat, mais le théâtre est habité, le visage éminemment expressif. Adorable Oberto de Chloé Briot. Son premier air - « Chi m’insegna il caro padre »- est très réussi, mais la voix ne semble pas toujours libre. Ceci expliquant en partie les savonnages de vocalises au III dans
« Barbara ! Io ben lo so ». Travail à mûrir tout simplement.
Le rôle d’Alcina est écrasant mais Sandrine Piau le transcende. Sa musique lumineuse et son incarnation raffinée respirent ensemble. La diva Piau peut même se permettre un cri rauque dans cet océan d’aigus adamantins ! Ses mains, à elles seules, racontent la somme phénoménale de concentration et d’énergie employées. Au cours de ses six airs -sans compter le reste de présence- la tension va crescendo et la grande tragédienne s’impose. Son sommet est au II, dans le long « Ah, mio cor, schernito sei…Ma son regina » où se révèle la construction d’un personnage, en rien monolithique, mais déchiré entre goût du pouvoir et sentiments humains. Par-delà les émotions, on est touché par la quête de rigueur et de maîtrise de la chanteuse-actrice.
   Peut-être pied de nez aux excès et inutilités scéniques en tout genre, cette production d’Alcina nous donne une généreuse leçon d’opéra, une référence et un modèle d’inspiration pour les générations à venir.                                                                                                                  
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- Dépôt SACD n°277418 -




                                                         







2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Bonjour,
    Votre article nous avait échappés et je l'ai découvert grâce au lien que vous avez indiqué dans le commentaire posté sur Forum Opéra (http://www.forumopera.com/actu/des-cadeaux-de-noel-a-prendre-ou-a-laisser). Un grand merci pour la richesse de votre analyse et pour ce commentaire suite à la sortie du Blu-ray. Nous serions très heureux de vous tenir informée de notre actualité et si vous le souhaitez, vous pouvez m'écrire pour poursuivre notre échange. Mon contact est sur le site des Talens Lyriques (http://www.lestalenslyriques.com/fr/les-talens-lyriques/contact). Cordialement, Yann ROLAND

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