vendredi 10 avril 2015

FAUST de Gounod, mes. Jean-Romain Vesperini - Paris/Bastille/15.03.2015 -


   Le Faust de Charles Gounod, livret de Jules Barbier et Michel Carré,
d’après Johann Wolfgang Von Goethe, à l’Opéra-Bastille, le dimanche 15 mars 2015.

   Ce n’est pas « rien »* de construire et de diversifier les déplacements de masses, chorales ou autres, à l’opéra ! (Particulièrement dans Faust !). Ce n’est pas « rien » de maîtriser l’espace scénique de l’Opéra-Bastille ! Et ce n’est pas « rien » non plus de savoir diriger ses chanteurs-acteurs avec énergie et constance sur toute la longueur d’une œuvre ! Ces qualités manquent cruellement au jeune Jean-Romain Vesperini pour ce Faust de Gounod. Et, à ce stade de sa carrière, il ne semble pas avoir l’expérience nécessaire et suffisante pour mettre en scène dans un théâtre de cette envergure.
Cet opéra fantastique raconte-t-il tout simplement les derniers rêves et fantasmes d’un Faust qui se meurt après avoir ingurgité un poison, nous propose-t-il comme relecture de l’ouvrage (cf. site de l’Opéra National de Paris et entretien sur Culturebox/12.03.2015/Lorenzo Ciavarrini Azzi). S’ensuit une histoire réaliste saupoudrée d’irrationnel. Mais voilà, le monde réel de JR.Vesperini est sommaire, décors et accessoires sans caractère, réduits à peau de chagrin. Et son monde irréel est aussi peu présent que peu audacieux. La mise en scène décolle une première fois ActeII/ScèneV lorsque, dans la foule qui valse, apparaissent à Faust Marguerite et ses doubles, danseuses habillées comme elle, virevoltant en couple. La vision est intéressante mais de courte durée et isolée. Il faut attendre le ballet « des reines et des courtisanes » au V pour retrouver une bouffée d’imaginaire et de signifiant. Dernier tableau de l’opéra, exécution de Marguerite et élévation de son âme, musique et chœur aux forces telluriques. Cette « apothéose » (sic dans le livret) se résume à la sortie de dos de Méphistophélès et Marguerite vers un fond de scène rougeoyant. Quel que soit le message véhiculé par cette fin inédite, il n’y a ici aucune dimension tragique, aucune union avec la musique. Est-ce pour mieux nous faire apprécier, au même moment, la disparition par une trappe de Faust jeune et sa réapparition en vieillard de l’ActeI/ScèneI, assis à son bureau, mort empoisonné, entouré des doubles de Marguerite, couchés à ses pieds ? Illustration du postulat de départ. Du clinique, du rationnel, mais peu de poésie.
Le choix des années 1930, quant à lui, n’est pas assez systématique pour marquer de cette époque précise notre « vespérinade faustienne ». Si les costumes de Cédric Tirado obéissent à cette esthétique, leurs couleurs vives nous rapprochent de Disneyland plutôt que des années 30. D’ailleurs ils deviennent intemporels dans les scènes de cabaret au II. Seul Piotr Beczala sait insuffler un air de Professeur Immanuel Rath (Emil Jannings dans « L’Ange Bleu ») à son vieux Faust, fort bien joué.
Que la gigantesque bibliothèque de Johann Engels est belle et comme elle avait du sens dans le Martinoty-Faust ! Quelle absurdité de l’avoir imposée à JR.Vesperini ! Il l’utilise peu, sinon pour faire étalage des possibilités techniques de cet engin génial. Et dans quel but ? En revanche il se sert intelligemment de l’autre décor -de J.Engels aussi- pour les scènes de l’église au IV.                                              
   Si l’œil reste sur sa faim dans cette production, l’oreille, elle, exulte.
Ecouter la Krassimira Stoyanova sur scène c’est entendre battre le cœur de  la musique. Elle jaillit, évidente, court legatissimo, sublimant toutes les difficultés, osant toutes les nuances et tous les rythmes du monde dans des phrasés illimités. De rondeur laiteuse et limpidité étincelante, le son-Stoyanova est plénitude lyrique, et le théâtre irrigue le chant de cette Marguerite, d’innocence et de jeunesse, comme d’angoisse et de folie.
Le Méphisto d’Ildar Abdrazakov conduit son bal de main de maître. Familiarité et charme du manipulateur, persiflage et rires inquiétants, menaces, incantations maléfiques, cette splendide basse-chantante enrobe de cent facettes son diabolique personnage et nous suspend aux volutes infernales d’un chant de bronze doré et noires fulgurances.
Engagement total de Piotr Beczala en Faust. La voix est ample, confortable, ponctuée de quelques sonorités « geddaïennes » (certainement liées aux morphologies de ces deux ténors). Epaisseur chaleureuse du timbre, registre aigu rayonnant et généreux. Si le contre-ut de sa cavatine (« Salut demeure chaste et pure », ActeIII/ScèneIV) prend un départ précautionneux, il n’en est pas moins éclatant. Tout ici est lignes de chant « dolce », simplicité recherchée et lyrisme sincère.
Bien sûr, la diction parfaite de notre Roberto Alagna national n’est pas atteinte par nos trois protagonistes, mais leur Français est suffisamment bon pour être compris sans l’aide du prompteur.
Des seconds plans de haut niveau. Chant souple, fruité, bien projeté et musicalité prometteuse pour le Siebel d’Anaïk Morel. Magnifique voix pour Valentin/Jean-François Lapointe, malheureusement mal exploité par la mise en scène. Sympathique Dame Marthe de Doris Lamprecht, mais lui manque un zeste de cantabile. Un Wagner/Damien Pass de luxe. Et reste notre Chœur de l’Opéra National de Paris, toujours égal à lui-même, c’est-à-dire excellent.
   On choisit d’aller écouter un opéra dirigé par le Maestro Michel Plasson comme on choisit d’aller écouter un opéra chanté par telle chanteuse ou tel chanteur adoré, avec l’intime conviction d’y rencontrer l’ivresse sonore. Après son Werther à Bastille en 2010, je m’étais jurée de revenir aux couleurs de son orchestre. Elles vous empoignent dans leur profusion enveloppante, dans cette densité proche de la malléabilité et de la présence de la peinture à l’huile, loin du pastel douceâtre ou de la sècheresse des eaux-fortes.  Des prémices apocalyptiques de l’Introduction à l’élan rédempteur du final, M.Plasson, avec un Orchestre de l’Opéra National de Paris complice et fervent, donne une cohésion expressive d’ensemble à une partition qui a toujours été tripatouillée par tous dans le temps (Gounod y compris) et qui ne nous conquiert qu’après plusieurs écoutes.
   Les forces musicales, plateau vocal et fosse, sont tout dans ce Faust.

* « rien » : premier mot de l’opéra, répété cinq fois par Faust à l’ActeI/ScèneI.

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