jeudi 23 juillet 2015

LA TRAVIATA de Verdi, mes. Benoît Jacquot - Paris/Bastille/07.06.2014 et 14.09.2014 -

 LA TRAVIATA / mes. Benoît Jacquot

De Giuseppe Verdi, livret de Francesco-Maria Piave,
Opéra-Bastille, représentation du 07.06.2014 et Culturebox.

   Prélude saisissant du premier acte de La Traviata à l’Opéra-Bastille le dimanche 7 juin 2014. Dès leur premier chant legatissimo, les cordes de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, prophètes du malheur de Violetta, nous plantent une peine sourde, une intranquillité lancinante dans le cœur. Daniel Oren, d’emblée et pour tout le reste de l’interprétation, écarte pathos et affèterie, impose une clarté incisive dans le discours musical, relevant la gravité du drame.
Acte II/ScèneII, Diana Damrau entame « Dite alla giovine… » et je frissonne de pied en cap. Merveilleurse artiste. Emotion et perfection technique s‘unissent. La musique de Damrau est habitée des sanglots désespérés d’une Violetta lucide sur sa mort prochaine. Tel un écho à son âme, le « Si piangi, o misera… » de Giorgio Germont/Ludovic Tézier et toute la fin du duo Damrau/Tézier resteront pour moi l’acmé de cette représentation.
A l’instar de Diana Damrau, Ludovic Tézier est un chanteur exceptionnel. De pouvoir paternel en rigidité intérieure, de conservatisme religieux en bienséante compassion, Ludovic Tézier appuie les mœurs monstrueuses du vieux père Germont sur sa canne de marche. Quelle maturité acquise depuis Aix/2011 dans ce même rôle !
Francesco Demuro est un fort bel Alfredo. Rinuccio enchanteur (Gianni Schicchi/ROH/2011), Ernesto très talentueux (Don Pasquale/TCE/2012), cette voix jeune, homogène, à la projection sûre, toujours bien couverte, jamais artificiellement grossie, va de toute évidence s’élargir dans les années à venir. S’il paraît un peu appliqué au I, il convainc crescendo et se donne totalement à la fin du II, au moment de la fête chez Flora, lorsqu’il paye Violetta pour ses « services rendus ». Artiste à suivre !
Seconds plans et Chœur superlatifs, comme toujours pendant l’ère Nicolas Joël.
   Si le Werther, mis en scène par Benoît Jacquot, (vu à Bastille en 2010) est d’essence cinématographique de par le tempo de l’action, sa Traviata est purement photographique. Benoît Jacquot y a troqué sa caméra de cinéaste pour une chambre de photos de studio, de celles d’un Félix Nadar (qui a d’ailleurs photographié Jeanne Duval) ou encore de celles d’ Henry Peach Robinson (qui fait la couverture du programme de l’Opéra de Paris). Comme autant de témoignages d’une époque révolue, ses images fixes chantent le feu et le spleen verdiens de Traviata.
Les décors (Sylvain Chauvelot) sont démesurés parce que rien n’est ordinaire dans la vie de Violetta ! Demi-mondaine et non femme banale, son lit monumental au I peut contenir l’impressionnante foule d’hommes en noir qui hante son quotidien (le Chœur). Au II, un splendide arbre géant abrite le gigantesque amour de Violetta et Alfredo, défi hors-norme à la morale sociale. Les fines lumières d’André Diot jouent dans le feuillage et sur la robe crème de Violetta, recréant les ondes lumineuses des scènes champêtres chez Edouard Manet et parfois Pierre-Auguste Renoir. Hommage à la peinture à couper le souffle ! Comme une sentinelle accolée à l’arbre rédempteur, un énorme et riche escalier citadin se dresse, mémoire et destin de la vie dissolue de Violetta. Continuo obsédant et visionnaire, le fond de scène noir opaque annonce le deuil à chaque instant.
   Cette Traviata est forte parce que Benoît Jacquot sait tellement bien nous dire combien il aime le romantisme ! Si la forme en est complètement différente de celle de son Werther, il nous fait faire le même voyage, il nous accompagne dans une tragédie d’amour et de mort par des chemins de beauté, beautés d’images mélancoliques et de chants fervents.

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Une TRAVIATA ne chasse pas l’autre…

   Les deux Traviata (Verdi) à l’Opéra-Bastille dans la mise en scène de Benoît Jacquot m’ont vivement émue. Je veux parler de Diana Damrau, vue et entendue le 07/06/2014 et d’Ermonela Jaho, le 14/09/2014. Elles ont en commun une maîtrise phénoménale de l’instrument et la passion du rôle qui rend plus électrique leur présence en scène. Mais elles sont dissemblables par leurs typologies vocales respectives et le théâtre que chacune donne à voir.
La Violetta d’Ermonela Jaho a la fragilité et la vivacité de la jeunesse. Voix, corps, mains, tout en elle chante, raconte éperdument le drame, fait jaillir l’émotion. La tragédienne, timbre de velours et cristal, vibre dans un chant ample, aux graves tendres, aux aigus radieux, aux longs pianissimi bouleversants.
Le théâtre de Diana Damrau est lui essentiellement chanté. La voix melliflue cisèle la partition. Le flot de couleurs données aux mots, aux phrases et l’extraordinaire variété des inflexions peignent amoureusement les sentiments de sa Violetta. Cette Violetta est une forte personnalité, plus volontaire qu’instinctive, plus révoltée que résignée par son sort, et donc tellement inhabituelle. Cette non-conformité à la majorité des Traviata et la lumineuse virtuosité de la Damrau touchent profondément.
Evidemment il n’y a pas de Violetta sans Alfredo Germont. Celui de D.Damrau, le talentueux Francesco Demuro, chante et joue impeccablement, mais la voix n’a pas encore atteint le calibre suffisant pour une salle aussi grande que l’Opéra-Bastille. En revanche, Francesco Meli (le 14/09/2014 avec E.Jaho) est l‘Alfredo adéquat. Et c’est avec délectation que l’on plonge dans les charmes de son chant élégant, généreux et sensible, qui tient largement les promesses de son Manrico à Salzbourg cet été.
Venons-en au déclencheur du drame, l’indispensable Giorgio Germont. Certes, Dmitri Hvorostovsky (le 14/09/2014 avec E.Jaho) est un père Germont à la voix somptueuse et aux indéniables qualités musicales, mais le personnage n’est pas assez caractérisé, à mon goût. (Méforme passagère, peut-être…). Au contraire, Ludovic Tézier (le 07/06/2014 avec D.Damrau) a voulu son Giorgio Germont détestable, appuyant constamment son monde intérieur, rigide et conservateur, sur une canne de marche qui fait corps avec lui. L’interprétation est fine, le chant fervent et la diction parfaite.
On ne peut pas oublier non plus les décors fixes et démesurés de Sylvain Chauvelot, qui ressemblent à ces vieilles photographies de studio, faites traditionnellement sur fond noir, que l’on regarde parfois en évoquant la terrible destinée d’un membre lointain de la famille…

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- Dépôts SACD n°277418 -











                                                       



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