mardi 21 juillet 2015

LUISA MILLER de Verdi - mes. Jean-Claude Fall/Liège/12.2014 et mes.Gilbert Deflo/Paris-Bastille/2008 et 2011 - STATIQUE MAIS MAGIQUE-


   Qualifier une mise en scène de statique est décidément tout-à-fait insuffisant. Constat après avoir vu trois fois le Luisa Miller de Verdi, deux fois dans la mise en scène de Gilbert Deflo, à Bastille en 2008 et 2011 et, cette fois-ci, dans la mise en scène de Jean-Claude Fall, à Liège en décembre 2014 -sur Culturebox et Medici-TV.
Il y a la mise en scène statique, qui se tire elle-même une balle dans le pied, frôlant dangereusement l’inanimé, et que seuls les chanteurs peuvent aider, voire sauver, je veux parler de celle de G.Deflo. Et puis il y a la mise en scène statique, qui facilite la lecture du drame et sait donner du relief à l’écriture vocale, comme celle de JC.Fall.
Chez G.Deflo, hormis les cieux qui finissent par s’assombrir, tout respire une immuable tranquillité, la petite maison dans les montagnes, les jolis costumes couleurs pastels, la sage foule de paysans, bref, une esthétique d’un naïf charmant mais surchargé et soporifique. Une sérénité qui plombe musique et tragédie. Et, cerise sur le gâteau, une direction de chanteurs-acteurs sans contrastes ni aspérités, qui entrave l’expression des passions verdiennes. Pour sortir de l’ornière cette mise en scène maladroite, il a fallu, en 2008, le Rodolfo vaillant et désespéré de Ramon Vargas, avec son « Oh fede negar potessi…quando le sere al placido… » appassionatissimo, au II, l’impressionnant duo Walter/Ildar Abdrazakov et Wurm/Kwangchul Youn, toujours au II, et un final bouleversant de bout en bout, avec Luisa/Anna-Maria Martinez, Miller/Andrzej Dobber et Rodolfo/Ramon Vargas. En 2011, ce sont la lumineuse Luisa de Krassimira Stoyanova et le Rodolfo arc-en-ciel de Marcelo Alvarez qui tirent toute la représentation vers le haut.
La mise en scène de JC.Fall, elle, m’est apparue tout d’abord comme indigente, manquant d’action et plutôt laide, quoique diablement fonctionnelle, avec son décor binaire, forêt-château, astucieusement articulé par d’énormes vérins. Mais ce dépouillement scénographique, mêlé à la simplicité des costumes -années 1930- rehausse les forces émotionnelles de la partition. Comme si la rareté des images renforçait les richesses sonores. La direction des chanteurs-acteurs va dans ce même sens, recherchant l’expressivité maximum chez chaque interprète. A partir de là se produit cette union sublime des énergies artistiques et créatives de ce Luisa Miller, ce « miracle d’une alchimie », dont parle Christophe Rizoud/Forumopera/29.11.2014.
   Et dans ce mystère d’alliages délicats, deux puissantes et rutilantes locomotives belcantistes mènent le bal, Patrizia Ciofi/Luisa et Grégory Kunde/Rodolfo. P.Ciofi, avec son amour urgent et absolu de la scène, délivre chant et jeu de l’extrême, extrême virtuosité, sentiments extrêmes. Au sommet de sa douleur, Luisa demande à Wurm de lui rendre son père, « Il cor tu m’hai squarciato… » (Tu m’as déchiré le cœur), au II. A ce moment P.Ciofi rentre dans une transe de la désespérance, qu’elle peint en fin de scène par une ornementation personnelle, stupéfiante. Puis elle vivra dans un état de déchirement intérieur irréversible, jusqu’à sa mort par empoisonnement. L’incarnation est poignante par sa justesse. Vaillance du lion et mécanique sophistiquée, G.Kunde est un colosse au chant racé. Dans le bleu si tonique de son regard vibre sa flamme dans l’art. Son Rodolfo ne cherche pas à se rapprocher du jeune homme du livret. Son Rodolfo, c’est tout simplement lui, un homme de soixante ans, ici amoureux fou de Luisa. Interprétation brillante teintée de touchante vraisemblance. Avec bonheur aussi, le jeune Nicola Alaimo est le vieux Miller. Dans la véhémence comme dans la douceur, avec son italianità classieuse et ses couleurs en abondance, son baryton chaleureux sied parfaitement à ce rôle de père aimant et protecteur. Vivement son Guillaume Tell/Rossini à Monte-Carlo en janvier 2015 !
Pour ce qui est des seconds rôles, Luciano Montanaro est un Conte di Walter oscillant entre beau chant et engorgement. Dommage car le timbre est intéressant. Cristina Melis est une Federica a la grande musicalité et le Wurm de Balint Szabo est pervers et détestable , comme il se doit.
   A la baguette, Massimo Zanetti analyse et caractérise chaque climat-et ils sont nombreux ici ! Par une éloquence orchestrale détaillée et toujours colorée, il parvient à unifier une partition hétéroclite, mosaïque de formes belliniennes, donizettiennes et du Verdi dramatique en devenir (Traviata, Otello, Rigoletto…).
   On peut lire, ça et là, que Luisa Miller n’est pas le chef-d’œuvre de Verdi…Thèse démentie par cette production de Liège, avec son plateau vocal en état de grâce, en communion totale avec les forces orchestrales et la mise en scène. Luisa Miller a une place de choix dans la nébuleuse verdienne, celle de l’étoile-trouvetou, de l’étoile laboratoire, originale, inspirée et par là-même passionnante.

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- Dépôt SACD n°277418 -































                                                           


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