vendredi 7 août 2015

DAPHNE de Richard Strauss, mes. Guy Joosten - Bruxelles/La Monnaie/streaming/10.2014 -


   Découvrir l’opéra Daphne de Richard Strauss (en streaming sur le site de La Monnaie/10.2014) est un moment marquant dans la vie d’un lyricophile, et d’autant plus fort lorsque ce premier voyage se fait à travers une mise en scène à l’imaginaire luxuriant (Guy Joosten) et une direction musicale captivante, au caractère à la fois héroïque et sensuel, (Lothar Koenigs).
   Mis à part quelques passages d’une saisissante impétuosité, cette partition (1938) annonce le lyrisme cosmique des « Quatre Derniers Lieder » (1946/1948), par ses immenses vagues exaltées et ses espaces infiniment mélancoliques.  Richard Strauss célèbre la poésie sibylline et raffinée du livret (Josef Gregor), son univers fabuleux, inspiré par la transformation de Daphné en laurier, racontée par Ovide dans ses « Métamorphoses », livre I.
   Mais, dans cette production, point de Grèce antique ni de Mont Olympe, point de paysages agrestes peuplés de solides bergers… A la place, un arbre gigantesque, refuge de l’innocente et idéaliste Daphné, qui rêve de communion avec la nature ; un escalier monumental qui la relie au pied de l’arbre ; et là, un monde contemporain, matérialiste et sans morale, foule bleue électrique de traders agités (Chœur et quatre comprimari), spéculant à tour de bras sur des tablettes numériques puis se vautrant dans la débauche. Guy Joosten propulse en d’autres temps et d’autres lieux ces figures humaines contradictoires qui font la légende de Daphné. Il en montre l’éternelle actualité : Daphné, l’ « écolo », caractère apollinien, dans sa recherche rigoureuse de vie en harmonie avec la nature, et son opposé dionysiaque, ce capitalisme hystérique (traders) qui, dans sa course effrénée à l’argent et aux plaisirs, se soucie peu de détruire la nature. Cette transposition, rondement menée, s’appuie sur des techniques visuelles impressionnantes et sophistiquées. L’équipe de mise en scène -décors (Alfons Flores/Fura Dels Baus), vidéo (Franc Aleu) et éclairages (Manfred Voss)- a su créer un climat surnaturel, qui nous tient constamment en haleine.
   Le plateau vocal, lui, est dominé par la Daphné de Sally Matthews et l’Apollon d’Eric Cutler. Sally Matthews est une Daphné bouleversante. Grâce de son ode à la nature, intensité et vérité du jeu dans la rencontre avec Apollon, sommet d’émotion son chant de peine éternelle à Leukippos, l’ami d’enfance  qui vient de mourir. L’exceptionnel n’est pas le timbre chez Sally Matthews. Certes, la technique vocale est belle, la projection remarquable, mais c’est sa science de l’équilibre entre voix, jeu et sentiment qui épate et nous donne la sensation suprême de naturel et de liberté dans l’interprétation. L’Apollon d’Eric Cutler promène sur scène sa grande carcasse un peu gauche, mais divinement virile. Onctuosité du legato, vaillance aisée, rondeur de la lumière…Une voix qui séduit, dont le panache et la plastique épousent admirablement les notes d’Apollon. Si Peter Lodahl/Leukippos touche par un timbre idéalement clair et juvénile, son chant semble parfois mis à rude épreuve par les difficultés de la partition. Gaea/Birgit Remmert et Peneios/Ian Paterson, respectivement mère et père de Daphné, forment un couple de riches capitalistes tout-à-fait crédibles, bien que caricaturaux. Le magnifique contralto de Birgit Remmert souffre malheureusement d’un vibrato qui parasite la ligne vocale. Tineko Van Ingelgem et Maria Fiselier campent deux jeunes femmes, un peu « fashion victims », (servantes dans le livret), pétillantes, drôlissimes et fort bien chantantes. Et n’oublions pas un Chœur de La Monnaie convaincant.            Dans la mythologie, comme chez Ovide, Peneios transforme sa fille Daphné en laurier, sur sa demande, afin qu’elle puisse échapper aux avances d’Apollon. Chez Richard Strauss, Apollon prie Zeus d’opérer cette même métamorphose pour se faire pardonner le meurtre de Leukippos et exaucer le rêve de nature de Daphné la pure. Guy Joosten accroît le sens de cette transformation fantastique -fin de l’opéra-, en y rajoutant un élément important, le feu. « La sève de la terre m’envahit doucement… » chante Daphné sur son arbre géant, totalement dévoré par les flammes (vidéo). Le chant s’arrête et on voit le corps de Daphné se graver dans le tronc encore brûlant (vidéo). Un éden orchestral accompagne cette fusion. Puis, Daphné réapparaît, apaisée, vocalisant sur la cime de l’arbre aux feuilles renaissantes (vidéo). Avec la résonance de l’accord final, de longs rayons de lumière arrivant des cieux irradient le décor. Image biblique. Guy Joosten a-t-il voulu souligner l’interdépendance entre la métamorphose, symbole de changement pour devenir soi, et le feu, symbole de régénérescence ou renaissance à la (sa ?) vérité, à la pureté, au bien ? (cf. Dictionnaire des Symboles, Ed. R.Laffont, de A.Gheerbrant et J.Chevalier).

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- Dépôt SACD n°277418 -


































                                                           

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