mardi 4 août 2015

TOSCA de Puccini, mes. Pierre Audi - Paris/Bastille/19.10.2014 -

                                       
  Est-ce une recette visuelle éculée que de mêler l’ancien et le moderne dans une mise en scène d’opéra ? Non, si ce procédé  a du sens. Dans la mise en scène de Tosca par Pierre Audi à l’Opéra-Bastille (vue le 19.10.2014, puis sur Culturebox) ce parti-pris permet de traduire avec pertinence toute l’ambivalence de la partition de Puccini, brillant des derniers feux du belcanto romantique (19ème et papa Verdi), mais s’affirmant largement dans l’utilisation du chromatisme (cousin Debussy) et tirant quelques leçons des formes wagnériennes. Chez Pierre Audi il y a les images anciennes de Tosca, celles inscrites dans son histoire pour l’éternité : les personnages aux élégants costumes d’inspiration 19ème (Robby Duiveman), le mobilier style Empire et la décoration très fouillée chez Scarpia Palazzo Farnese (au II), sans oublier les jeunes soldats napoléoniens du peloton d’exécution (au III). Et puis il y a la modernité qui enveloppe ce noyau historique, celle du décor (Christof Hetzer), celle de l’utilisation de l’espace et celle de l’imaginaire. D’abord la croix, dont les proportions colossales épousent admirablement les profondeurs de la scène et le volume de la salle, église au I (Sant’Andrea della Valle), coiffant l’antre de Scarpia de son influente protection au II, menace et sentence de mort au III. Sa sévère simplicité se fond littéralement dans l’architecture des lieux. Au II, les murs de chez Scarpia ont tout d’un Mondrian, couleurs tranchées bordées de noir, rouge cerise, bleu ciel et blanc. Et c’est par le rouge que fusionnent murs abstraits et mobilier napoléonien. Pas de Castel Sant’Angelo au III, mais un paysage aux étranges arbres morts, que Pierre Audi qualifie de « pasolinien » et qui m’évoque plutôt l’irréelle réalité de certains Dali.
Pourquoi ce tollé général à propos du tableau « Les Oréades » de William Bouguereau, peint sur la croix-église au I ? Après tout, Marie-Madeleine n’a pas toujours été une sainte ! Et la messe est toujours célébrée dans une Chapelle Sixtine dont les fresques de Michel-Ange regorgent de nus largement aussi sensuels que les nymphes de Bouguereau ! Pour la seconde partie du I, épatantes images filmées de Denis Caïozzi. La perspective plongeante sur la croix met en relief l’arrivée galvanisante de Scarpia, celle grandiose des prélats dorés et la foule du toujours foudroyant « Te Deum ». Comme le dit si bien Christian Peter (Forumopera/28.10.2014), « le deuxième acte est sans conteste le plus réussi ». Surprenant décor « abstracto -napoléonien » , minutieuse direction de chanteurs-acteurs, plateau vocal ardent (première distribution). Un travail à la hauteur de cet acte dramatiquement parfait. Et toujours au II, une très belle idée : faire sortir Scarpia au moment du « Vissi d’arte » de Tosca. Cette prière à Dieu, sincère et implorante, ce
« dolcissimo con grande sentimento » a besoin de solitude, de recueillement et n’a que faire de la présence d’un Scarpia abject de perversité. Quant au III, Yannick Boussaert (Forumopera/10.10.2014) le trouve « problématique ». La transposition de la scène du Castel Sant’Angelo en paysage abandonné fonctionne, mais le résultat est décevant car la réalisation en est mal ficelée et la direction des acteurs et des chanteurs est incertaine. Seul le chant ici enivre. Reste la mort de Tosca. Pierre Audi la réinvente. Le traditionnel saut dans le vide est remplacé par un énorme tissu noir satiné qui dégringole des cintres, alors que Tosca rejoint un soleil de lumière blanche aveuglante en fond de scène. Allégorique, sobre, marquant, une vraie émotion esthétique. Mais n’est-elle pas réservée aux happy-few qui connaissent déjà la mort de Tosca dans le livret ?    Standing ovation pour les grandissimes Martina Serafin, Marcelo Alvarez et Ludovic Tézier dimanche 19 octobre 2014. Port majestueux et chaleur du timbre cuivre rouge, Martina Serafin est une Floria Tosca qui force le respect par un engagement total. Le jeu est toujours juste, la voix ample et superbement menée. Parfois, quelques aigus un peu durs, parfois un peu moins épanouis -dans ce dernier cas peut-être un choix prudent. Martina Serafin a la féminité resplendissante de Floria Tosca. Marcelo Alvarez/Mario Cavaradossi ou le don absolu de la voix. Il faut le regarder utiliser son corps et nous en donner la substantifique moelle sonore. Il ne lésine pas sur la générosité, Marcelo Alvarez ! La voix irradie, vous prend le cœur. Les nuances caressent l’oreille. Marcelo Alvarez ou l’amour de la nuance. Et, n’en déplaise à ses détracteurs, les fameux tics de ténor disparaissent petit-à-petit et le jeu s’améliore à chaque fois un peu plus. Un excellent ténor, avec les quelques tics qui lui sont nécessaires, vaut mieux que tous ces bons acteurs mais très médiocres chanteurs qui nous sont servis sur de grandes scènes de nos jours ! Quant à Ludovic Tézier, que je surnomme « triple ganache », il ne déçoit jamais. Entendu dans neuf rôles, à chaque fois une performance. Un Scarpia plus serpent que fauve, sadisme venimeux, violence des puissants et vice dans la peau. Un chant superlatif pour cette incarnation recherchée. E dopo il ventaglio, aspettiamo il fazzoletto ! - et après l’éventail (Scarpia), nous attendons le mouchoir (Iago).  On ne se lasse jamais de la belle voix de Wojtek Smilek en Cesare Angelotti, chez Audi comme chez Schroeter. Un Spoletta, Carlo Bosi, au chant cinglant à  souhait. Un bon Sagrestano, Francis Dudziak -mais j’ai un faible pour celui de Matteo Peirone (chez Schroeter).
   La direction musicale de Daniel Oren est d’un grand classicisme et c’est peut-être ce qui au fond déplaît. Benoît Jacquot qualifiait Tosca d’opéra « boîte à nerfs » (Le Monde de la Musique/09.2001/François Lafon) et c’est cette dimension qui manque à l’interprétation de Daniel Oren.
   En tout cas, je conseille vivement de voir ou de revoir ce Tosca sur Culturebox.

                                                                        *********

- Dépôt SACD n°277418 -






















                                                           

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire