vendredi 7 août 2015

Pour l'amour de PELLEAS ET MELISANDE de Debussy - mes. Robert Wilson/Paris-Bastille/11.03.2012 et mes. Pierre Audi/Bruxelles-La Monnaie/streaming/05.2013 -

                                                                               




   Dimanche 11 mars 2012, Opéra-Bastille, le Pelléas et Mélisande -mise en scène Robert Wilson- reste en moi, voyage fascinant, à la croisée des chemins du son et du chant, de l’image et du mouvement, du mot. La route de Bob Wilson s’est inscrite pour l’éternité dans les notes de Claude Debussy et la poésie de Maurice Maeterlinck.
Les vagues sonores debussystes meurent aux pieds du chant et renaissent sempiternellement enlacées au dire. Philippe Jordan et l’Orchestre de l’Opéra National de Paris gravent dans le bleu bobwilsonien ces ondes inachevées mais cycles ininterrompus. Et l’immobilité de ce bleu en fond de scène exalte le magnétisme des voix et les couleurs généreuses d’un orchestre dont la lisibilité instrumentale de tous les instants est captivante.
Les mots de Maeterlinck façonnent un conte tragique mais demeurent suspendus lorsqu’ils ne disent plus, érodant les galets du visible, interrogeant sans cesse l’indéterminé de ces destinées.
La gestuelle de Bob Wilson, peut-être en partie inspirée par le théâtre extrême-oriental,  semble née d’une observation de l’humain aiguë, incisive. Tout y est évocation, tout reste en flottaison. Les personnages vont se toucher mais ne se touchent pas. Les gestes vont s’accomplir mais n’aboutissent jamais. Pourquoi finir un mouvement si son esquisse ou sa stylisation sont suffisamment éloquentes pour peindre un sentiment, une sensation, une action ? Ici le non-fini crée l’infini. Première rencontre (ActeI/Scène3), l’amour avenir de Pelléas et Mélisande est déjà dans leurs mains, si proches, qui goûtent l’autre sans même s’effleurer.
Mais, pour décrire des sentiments paroxystiques, la fureur jalouse et la passion d’amour, pour précipiter les inévitables destins, Bob Wilson casse ses propres codes, inclut le toucher dans sa gestuelle par deux fois, par deux moments cruciaux. D’abord, déclaration de guerre (ActeIII/Scène4), Golaud brutalise de ses mains le petit Yniold pour l’interroger à propos des rencontres de Pelléas et Mélisande. Puis, déclaration d’amour de Pelléas et Mélisande (ActeIV/Scène4), enfin leurs mains se nouent longuement et si fort !
La lenteur permanente des mouvements et des déplacements, admirablement fondus dans la musique, crée un état intérieur de perception décuplée. C’est par impressions épidermiques que le drame et sa représentation nous émeuvent, intimement.
   Au pays d’Allemonde tous sont animés d’ondes communicantes intenses, de vibrations à très longue portée.
Les sons flûtés, le verbe aérien de Mélisande/Elena Tsallagova épousent magnifiquement, mais sans lendemain, le timbre dense, le discours superbement stylé du Pelléas de Stéphane Degout.
Le soprano d’Elena Tsallagova  sied à Mélisande, sied à son passé impalpable, à son âme kaléidoscope mais meurtrie. Les dernières notes de l’opéra accompagnent vers le ciel cet ange immaculé qui vient de mourir et nous laisse le cœur serré. Ultime séquence allégorique d’une poésie et d’un dépouillement à couper le souffle.
Le chant de Stéphane Degout/Pelléas a la grâce et la force justement pesée du gymnaste aux agrès. A chaque instant on s’émerveille de la liberté du phrasé, de cette diction idéale, où le travail des voyelles est impressionnant, où chaque mot fait sens. L’alchimie du clair et de l’obscur est un trésor fondamental dans cette voix.            
La parole abrupte, dans le chant bouleversant du Golaud de Vincent Le Texier, heurte et déchire l’insaisissable amour de Pelléas et Mélisande. Vincent Le Texier est un Golaud inoubliable par un jeu soigneusement étudié et une violence minutieusement distillée, jusqu’à sa manifestation totale. ActeIII/Scène4, Golaud hisse Yniold sous les fenêtres de Mélisande, pour la surprendre avec Pelléas. L’action est mimée et le mime est parfait. L’expressivité et l’engagement corporel de Vincent Le Texier/Golaud et de Julie Mathavet/Yniold sont d’une puissance prodigieuse. En outre, le charme, la spontanéité, la gaucherie même du soprano enfantin de cet Yniold/Julie Mathavet éclairent ce monde triste et sombre.
Arkel/Franz-Josef Selig aux graves paternels, Geneviève/Anne-Sophie Von Otter au masque tragique et Le Médecin/Le Berger/ Jérôme Varnier à la noblesse délicate complètent l’excellence d’un plateau vocal, savourant son Debussy et peaufinant son Wilson.
   Immersion vitale dans ce pays d’Allemonde. Présences ferventes et plastique illuminée sur scène, sacerdoce debussyste dans la fosse, osmose sur tous les fronts. La fluidité de l’œuvre, son mouvement perpétuel, envoûtant, naissent de l’implacable précision d’ensemble, d’une synergie rigoureuse. Pour moi, totale fusion de deux titans, Claude Debussy et Robert Wilson.

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   Mai 2013/streaming/La Monnaie de Bruxelles et ArteLiveWeb, le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, mise en scène Pierre Audi, s’il « représente le mystère » (Claude Jottrand/Forumopera/17.04.2013) invite au « tragique quotidien » (Maurice Maeterlinck, Le Petit Robert/1983). Le pays d’Allemonde de Pierre Audi est traversé par deux courants : celui surréaliste -décor d’Anish Kapoor, scénographie générale- et celui « néovériste » ou volonté de bâtir un drame de la vie ordinaire. La fusion entre surréalisme et « néovérisme » ne s’opère pas. Le théâtre psychologique l’emporte sur son environnement futuriste.
   En revanche, Ludovic Morlot et Pierre Audi réussissent une union idéale entre musique, voix et jeu d’acteur. Le Golaud de Dietrich Henschel est d’une violence inouïe. Stéphane Degout habite ici son Pelléas de la volonté farouche de l’amour et d’une émotion constante, à fleur de voix. Malgré sa calvitie éprouvante, Monica Bacelli compose une Mélisande extrêmement touchante. Geneviève/Sylvie Brunet-Grupposo est si belle de voix, d’allure. Yniold/Valérie Gabail est un véritable enfant et l’usure du temps va si bien à l’Arkel de Frode Olsen…
   Ce pays d’Allemonde est feu. Flammes rongeantes de destins inévitables, bûcher final de l’amour de Pelléas et Mélisande. Cette production gagne à être écoutée sans être vue, pour pénétrer le corps du chant, pour toucher du cœur le mystère debussyste, incarné par une équipe artistique énergique et sensible.

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- Dépôts SACD n°277418 -









                                                   

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